Tobin or not Tobin ?
La taxe Tobin est un vieux serpent de mer qui refait surface indéfiniment et
revient soudain dans l'actualité par la volonté de l’Union européenne (UE).
L'idée meurtrière charrie toutes les luttes contre le capital et les
capitalistes dont, cependant, nous avons tant besoin. En même temps, elle
montre une nouvelle fois la folie taxatoire de tous les pouvoirs. Elle
reflète leur furie dépensière, la dépense publique étant leur pain quotidien
dans tous les sens du terme. Une autre idée mensongère est inscrite dans les
gènes de l'opération : l'argent enlevé par la force aux riches irait nourrir
les pauvres. Nos lecteurs savent très bien comment et pourquoi un tel
transfert ne s'est jamais vu.
En 2002, le gouvernement a demandé l'instauration d'une taxe sur les
mouvements de capitaux ou sur le développement mondial, tout en prenant soin
de dire que ce n'était nullement une taxe Tobin : comprenne qui pourra. En
2005, Villepin a demandé à l’ONU de créer une taxe Tobin, sous forme de 5
dollars sur chaque billet d’avion, et promettait de la mettre en route en
France dès 2006, éventuellement avant les autres pays. En 2012, lors de la
campagne présidentielle, la chasse aux riches et aux capitalistes fut
ouverte chez tous les candidats. Le candidat François Hollande rêvait d'une
taxe spéciale lors de l'achat d’une action d'une entreprise française à
quelque endroit dans le monde que cet achat se produise. Il faudra
clairement expliquer aux tribunaux ce qu'est une entreprise française et aux
gestionnaires des grandes bourses mondiales comment s'y prendre pour
ramasser les sous.
Un peu d’historique
Historiquement, la taxe Tobin fut imaginée par James Tobin, un professeur
américain de l'université de Yale, comme un outil de lutte contre la
spéculation financière. Pour ce prix Nobel d’économie en 1981, il s'agissait
de taxer toutes les transactions de change pour décourager les spéculateurs
qui effectuent des allers et retours en quelques semaines. Aujourd'hui c'est
en quelques secondes ! La taxe de faible taux redistribuerait ses recettes
vers les pays les plus pauvres. C'était une période d'euphorie boursière.
Oubliant que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, il était facile de
s'indigner de ces capitalistes aux privilèges injustifiés.
L'un des mécanismes envisagés annonçait une nouvelle bureaucratie, ce qui
est le signe de toute action étatique. Pour être efficace cette taxe devait
avoir une assiette, un taux et un recouvrement identiques dans tous les
pays. Elle serait collectée et administrée par chaque gouvernement sur
toutes les opérations concernant le marché des changes des résidents dans sa
juridiction. On voit la future usine à gaz ! Les produits de cette taxe
seraient reversés à un fonds central contrôlé soit par le FMI, soit par la
Banque mondiale, soit par une structure démocratique et responsable sous le
contrôle des Nations Unies.
Cet organisme devrait ensuite redistribuer le produit collecté, étant
précisé que les pays pourraient garder une partie de leur récolte. Le taux
devrait résulter d'un compromis entre la volonté de stopper la spéculation,
de ne pas gêner les autres opérations et de rapporter des recettes fiscales
d'un certain montant. Pour la France, les recettes d'une taxe au taux de 0,2
% représenteraient la bagatelle de 68 Milliards de F de l'époque, soit plus
de 8 fois l'ISF !
Elle serait, si elle était instituée, le seul impôt vraiment international
qui permettrait de décourager la spéculation, de favoriser le développement
économique des pays et d'aider, par un système redistributif, les pays les
plus pauvres.
L’Europe à la manœuvre
Quelle est la nouveauté aujourd'hui ? C'est l'intervention fracassante de
l’Union européenne. Elle se produit par une prise de position officielle du
commissaire européen à la fiscalité, ce qui introduit dans le tableau
général des nuances nouvelles. D'abord, pourquoi un tel commissaire ? Parce
que l'extension indéfinie de l’UE oblige à multiplier le nombre de
commissaires inutiles. Un commissaire à la fiscalité ne peut que rêver
d'impôts nouveaux, ce qui est le contraire de toute action économique
raisonnable et logique.
Pour justifier la taxe Tobin, il n'hésite pas à évoquer un prétendu « vide
fiscal », le secteur financier n'étant pas assez taxé (sic). En plus, le but
inavoué de tout organisme public est d'avoir « une taxe bien à soi », gage
d'action sans contrôle, ce qui serait le cas. La modestie initiale du projet
est mise en avant : au départ, 0,1 % sur les actions et obligations avec 0,
01 % sur les produits dérivés. Cela rapporterait tout de même 57 milliards
d'euros à la France : la ficelle est grosse car « petit impôt devient
toujours plus grand ». Le gaspillage est largement ouvert : les États
bénéficiaires pourraient faire des investissements ciblés, autant dire des
investissements publics. La présentation va jusqu'à prétendre faciliter la
croissance alors que le projet assècherait les financements privés, uniques
gages de croissance.
En fait, la taxe Tobin est une très mauvaise idée. Lutter contre la
spéculation est aussi difficile que de construire un château de sable pour
lutter contre la marée. En outre, la spéculation et les spéculateurs sont
nécessaires pour lubrifier l'économie. Si, malgré bien des réticences
exprimées, elle était instituée, ce sont les paradis fiscaux qui en
profiteraient. L'enthousiasme des Eurocrates reflète seulement leur appétit
insatiable pour le pouvoir et la richesse qui s'ensuit.
Il faut certes aider les pauvres. Pour atteindre ce but, il faudrait détaxer
au maximum et non surtaxer.
Michel de Poncins |