Le triple A ou le pouvoir de dépenser !
Ce fameux triple A est devenu l'idole absolue devant laquelle chacun est
obligé de s'incliner. Les nouvelles se bousculent à vive allure et
ressemblent à un étrange ballet : un pas en avant, puis un pas en arrière.
La prétendument vertueuse Allemagne est elle-même menacée ainsi que d'autres
pays européens dont la vertu est indiscutable. Standard and Poor's a craché
du venin du haut de son magnifique gratte-ciel à New-York. Loin de nous
l'idée de nous réjouir des perspectives plus ou moins nettes de perte ou de
dégradation de la note de la France. Nous remarquerons seulement que
certains pays et non des moindres ont perdu leur mascotte sans dommages
apparents.
Le pouvoir, en France, affiche une crainte panique en invoquant un intérêt
général dont il prétend être le seul juge. La vraie raison est sa fureur
dépensière. Ne voulant absolument pas décider des mesures bien connues pour
libérer la croissance, il souhaite continuer à dépenser sans mesure : la
perte ou la dégradation augmenterait le coût de ses emprunts. Une analyse
plus fine conduit à s'interroger sur la franchise de ses cris d'alarme :
est-il sincère ? Répondre est impossible tant les campagnes électorales se
déroulent dans des ténèbres complexes et malodorantes.
Beaucoup en profitent pour accuser les marchés, que l'on assimile aux
agences de notation : la confusion est totale. Il y a trois entités
distinctes : la réalité économique, les agences de notation et les marchés.
Les agences sont des business comme d'autres. Malgré leurs prétentions,
elles se trompent souvent : elles se sont trompées sur la Grèce, entraînant
dans l'erreur beaucoup d'acteurs. Leur personnel est-il vérolé par
l'idéologie mondialiste en vogue ? C'est probable. Elles saluent
favorablement des pas pourtant très mesurés vers plus d'Europe, alors que
l’Union européenne est largement à la source de la panne de croissance dont
elle se plaint amèrement.
Les marchés représentent le juge final contre lequel il est impossible de
lutter dans le long terme. Dans le court terme il arrive qu'ils réagissent
favorablement sur des apparences. Comme les agences ils saluent par des
hausses les légères avancées vers l'Europe.
Les idées fausses
Le comportement des acteurs est à la croisée de plusieurs idées erronées.
Et tout d’abord l’idée que la sainte croissance résoudrait tous les
problèmes, permettant en particulier d'arrêter les déficits, lesquels durent
depuis 37 ans. Pour atteindre les critères de Maastricht, il faudrait plus
de 7% de croissance ; le taux de 7% n'est pas impossible en soi, mais il y a
aussi l'immensité des dettes à rembourser. L'action sur le déficit
budgétaire est un peu l'arbre qui cache la forêt. Le seul objectif
raisonnable serait de créer un surplus budgétaire à l'image de certains
pays.
Le point essentiel est l'importance de l'endettement public global. A
supposer que le déficit budgétaire soit réduit, les conséquences positives
seront minimes si par ailleurs l'endettement global des pouvoirs publics et
de toutes les succursales para publiques augmente par la création de
nouvelles dettes. En plus, l'action sur les déficits se traduit par un
déluge d'impôts, ce qui est contraire à l'objectif prétendu de la croissance
Quels sont les moyens pour stimuler la croissance ? Nous nous heurtons ici à
l'idéologie du « tout-Etat » qui pénètre partout les esprits. Stimuler la
croissance par l'intervention de l'État est se condamner à l'échec. La
croissance ne peut venir que des acteurs privés et notamment des
entreprises, qu'il faut libérer de tous les obstacles qui les freinent.
Un autre objectif énoncé officiellement est de sauver l'euro. L'euro est une
très mauvaise idée en soi et cela n'empêche pas de le sanctifier. En plus,
il cache un objectif plus ambitieux qui est de sauver l'Europe. L'Europe est
un conglomérat à 27, bientôt à 28. Il est ingouvernable et livré à de
richissimes commissaires agissant pratiquement sans contrôle véritable. La
richesse incomparable de l'Europe et ses multiples entraves, avec
l'inondation des directives et des recours juridiques, expliquent la panne
de croissance dont elle est le théâtre. Au « tout État » qui détruit
l'économie française se superpose le « tout Super État ».
L'idéologie européenne est tellement présente que la seule perspective de
voir les budgets des États membres examinés par les gnomes de Bruxelles
remplit d'aise les médias. On va jusqu'à évoquer des sanctions quasi
automatiques pour les États qui ne respecteraient pas les consignes de
Bruxelles : quel beau « bazar » en perspective. Le véritable objectif est
une gouvernance économique de l'Europe, ce qui est le contraire de la
liberté.
La règle d’or
Tout ce remue-méninges est proche d'accoucher d'une souris. On présente
comme un remède miracle un accord éventuel, faute de mieux, pour
l'inscription dans les constitutions d'une règle d'or. Ce système est
supposé supprimer les déficits publics, dont les politiques sont seuls
responsables. Incapables de modérer leurs furies dépensières, ils se
ficelleraient eux-mêmes les mains. N'importe quel économiste ou juriste
sérieux observera que cette règle ne serait qu’une simple barrière de papier
sans aucun effet pratique. D'autre part, l'objectif de cette règle d'or
serait limité uniquement aux déficits annuels qui sont, certes, l'une des
causes principales de l'endettement croissant, mais pas du tout la seule.
Nulle part, il n'est question d'interdire purement et simplement toute
création de nouvelles dettes.
Pour terminer, rassurons-nous. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont
embrassés publiquement, et l'idée de la nécessité du couple franco-allemand
est ainsi sacralisée. La question est : qui donne le baiser de Judas ?
Michel de Poncins
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