Quand Pascal Praud hurle à la mort !
L’intelligence artificielle va-t-elle transformer le monde ? Il est permis
d’en douter quand on sait ce qui anime l’homme. Et qu’on voit les pires
instincts se déchaîner à l’occasion d’un conflit de civilisation. Homo
sapiens a conquis le monde. Il veut maintenant conquérir les astres. Ce
qu’il devrait plutôt c’est conquérir la maîtrise de lui-même. Les Grecs
l’avaient bien compris, qui repoussaient l’hubris comme une plaie mortelle.
Le sage n’a pour ambition que de se maîtriser. Il y faut une force d’âme peu
commune. Ne pas refuser les plaisirs du monde tout en n’en devenant pas
esclave est un beau défi. Auquel celui qui ne prétend pas être sage mais
seulement raisonnable est confronté tous les jours de sa vie. Au plus haut
degré, le défi est celui de conduire la nation. On entre alors dans le
domaine des hommes d’Etat. Le citoyen sait d’instinct les reconnaître. Ce
sont des hommes qui ne se préfèrent pas aux autres et qui aiment ceux qu’ils
sont amenés à diriger.
Ces considérations ont été exprimées dans une émission de télévision
française, alors même que celle-ci s’est fait une spécialité de ne jamais
rien dire d’important. Celui qui les a tenus, Charles Gave, est un
économiste et un financier qui a brillamment réussi dans la vie et qui, au
soir de celle-ci, s’efforce de faire bénéficier autrui de ses lumières. De
ce fait, rares sont les médias audiovisuels qui l’invitent à s’exprimer. Ce
simple fait est de nature à inquiéter. Car quand on a en France un vrai
penseur, on doit se précipiter pour l’entendre, vu le nombre d’histrions qui
peuplent les plateaux et les inondent de leurs sottises. Mais non. Charles
Gave n’est presque jamais invité.
Pascal Praud a voulu faire exception. Qu’il en soit félicité. Mais il a raté
son interview. Qu’il en soit blâmé. Car il n’est pas difficile de réussir
une interview de Charles Gave. J’en ai fait l’expérience. Avec lui, la règle
s’exprime ainsi : « Laisse aller, c’est une valse », comme le disent tous
les accordéonistes du monde. Au lieu de céder la place à la musique, Pascal
Praud a voulu jouer la sienne et cela a suffi à nous priver de l’essentiel
du message de Charles Gave. A la fin de son émission, Praud aurait dû faire
l’annonce traditionnelle : « Mesdames et Messieurs, la pièce que nous venons
d’interpréter a pour titre “Le mal français”. Elle est à l’affiche de tous
les médias nationaux. Et n’a aucun succès nulle part ». Et chacun serait
reparti de son côté en grommelant. Comme d’habitude.
Ce que Pascal Praud et ses commensaux n’ont pas voulu entendre de la bouche
de Charles Gave, c’est que Macron n’est pas intelligent et n’aime pas les
Français. On peut évidemment en discuter. Mais pourquoi hurler à la mort
quand on entend de tels propos ? S’ils sont exacts, ils appellent à une
réaction du peuple, visant peut-être à se donner un autre chef. Mais c’est
précisément cela qui ne doit pas être dit ni entendu à la ronde. Car la
France a oublié qu’elle fut un pays de liberté. Elle n’est plus qu’une vague
dictature qui fait honte à son passé.
Ne nous y trompons pas. Le mensonge n’est pas éternel. Pas plus que les
dictatures. Mais les dictatures et le mensonge font que le temps passe
lentement. La dictature tsariste était moins féroce que la dictature
communiste, mais Tchekhov en a admirablement peint l’ambiance lourde et
l’interminable lenteur dans ses œuvres. Le Tchekhov français est encore
inconnu. Sans doute se désespère-t-il, au fond de sa province, de ne pas
voir son génie reconnu.
J’ai voyagé en Tchécoslovaquie pendant le printemps de Prague. Un jour, vers
midi, nous avons fait halte devant une auberge. La salle était emplie de
convives silencieux qui mangeaient des boulettes. Nous nous somme assis et
avons demandé des boulettes. Il n’y avait d’ailleurs que cela. A un moment,
un homme s’est levé de sa place et s’est adressé à nous en français :
« Soyez les bienvenus chez nous. La France est le pays de la liberté, nous
l’aimons et nous l’admirons. » Il avait les larmes aux yeux. J’y suis
moi-même allé de ma larme. Il est parti vers son destin, qui malgré
l’éphémère printemps de Prague, était menaçant.
Voilà la France. Voilà ce qu’elle est pour le monde. Alors quand Pascal
Praud recevra à nouveau Charles Gave, dans un siècle ou deux, il pourra
peut-être lui demander s’il a changé d’avis sur Macron et si les évènements
dramatiques que la France a connus au fil des décennies l’ont surpris.
Connaissant Charles Gave, je sais qu’il ne se défilera pas et dira avec
force : « Je l’ai toujours dit, Macron n’a rien compris à la France ». Et
étant un homme de culture il ajoutera : « Mais comme le disait Paul Valéry,
de toutes façons on s’en fout ! »
Claude Reichman
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