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12/1/09 Bernard Martoïa

La reconstitution de l’épargne prendra une décennie

"La tache d'un vrai intellectuel consiste à analyser les illusions en vue de découvrir leurs causes." Arthur Miller

Haro sur le libéralisme ! La cause est entendue. C'est le capitalisme débridé des Américains qui nous a conduit à la catastrophe. On assiste à un retour en grâce de John Maynard Keynes. Le Figaro lui a consacré un article flatteur : "Keynes, l'homme de l'année 2009. " "Qu'ils soient de gauche ou de droite, partout les gouvernements, depuis le début de la crise, se réclament de lui pour sortir leurs économies de l'ornière," écrit en préambule Jean-Pierre Robin. Même les travers sexuels de l'intéressé sont admirés : " Ses amis bobos de Bloomsbury, aux idées pourtant très larges, seront stupéfaits lorsqu'il leur annonce en 1925 son mariage avec Lydia Lopokova, une danseuse étoile des Ballets russes de Serge Diaghilev. Leur ami n'avait-il pas jusqu'alors multiplié les liaisons homosexuelles ?" Et en prime l'estampille de l'establishment français : «Politique chez les intellectuels, intellectuel chez les politiques», écrit Alain Minc, qui déborde d'admiration pour ce «touche-à-tout», au point de lui consacrer une biographie enthousiaste. «L'homme Keynes est fascinant. Peut-être encore plus grand que son œuvre», avoue l'essayiste français qui semble en avoir fait un modèle personnel." La brosse à reluire n'a jamais autant servi au Figaro.

N'en déplaise aux béats keynésiens, le massif plan de relance que s'apprête à lancer le président élu, dès son arrivée à la Maison Blanche, n'est pas un remède à la crise. Il va l'aggraver en creusant la dette abyssale de son pays. Il se pourrait que les agences de notation, qui sont vertement critiquées de nos jours, décident, pour regagner leur crédibilité perdue ou tout simplement pour éviter de disparaître comme Arthur Andersen, de dégrader la note du Trésor américain. Ce serait un sérieux avertissement lancé aux béats keynésiens.

Les admirateurs de Keynes n'ont pas compris l'origine de la crise financière. Ils confondent les causes et les effets. Carl Menger (1840-1921) est le fondateur de l'école autrichienne d'économie. Dans son ouvrage "Principes de l'Économie," il disait ceci : "Tous les évènements sont sujets à la loi de la cause et de l'effet. Ce grand principe ne connaît pas d'exception, et nous chercherions en vain dans le monde réel un exemple contraire."

La crise financière actuelle est la conséquence du plan de relance de l'administration Bush après les attentats du 11 septembre 2001 et de l'éclatement de la bulle Internet. L'économie américaine fut plus touchée que d'autres par cette folle spéculation sur des sociétés qui n'avaient, pour certaines, même pas de revenus. Le Nasdaq, le marché des valeurs de technologie, fut plus sévèrement sanctionné que le NYSE (marché des valeurs traditionnelles) à Wall Street. L'indice Nasdaq, qui avait atteint le record de 5048 points le 10 mars 2000, toucha l'abysse, le 9 octobre 2002, en clôturant ce jour là à 1114 points. En l'espace de dix-neuf mois, l'indice avait perdu 78 % de sa valeur.

Bush convoqua Greenspan à la Maison Blanche. Il lui demanda de relancer la machine. Le maestro s'exécuta en abaissant le taux d'intérêt directeur à 1 % et il le conserva à ce niveau bas pendant trop longtemps. Heureusement qu'en Europe on a une banque centrale indépendante des politiques ! Le président de la République n'a cessé de critiquer la rigueur imposée par la B.C.E. Il aimerait qu'elle soit plus accommodante. N'en déplaise au président français, l'objectif d'une banque centrale est unique : combattre l'inflation. C'est le drame de la Fed qui ménage la chèvre et le chou en poursuivant deux objectifs contradictoires : combattre l'inflation et maintenir le plein emploi.

L'argent déversé par hélicoptère (helicopter drop dans la lexicologie de Wall Street) pendant les années 2003 et 2004 favorisa de mauvais investissements, notamment dans l'immobilier où une bulle se développa. Bernanke et Gertler ont écrit ensemble un papier, en 1999, dans lequel ils arguèrent que la Fed devait ignorer les bulles et s'en tenir à sa politique traditionnelle de contrôle de l'inflation. Si une bulle éclate, dirent-ils, la Fed pourra toujours abaisser les taux d'intérêt pour minimiser les dommages sur le reste de l'économie. Pour étayer leur thèse, ils présentèrent une série de simulations faites sur un ordinateur, qui, en apparence, montraient qu'une politique destinée à lutter contre l'inflation, stabiliserait mieux l'économie qu'une politique axée sur les bulles.

Henry Kaufman, un économiste renommé de Wall Street, répondit à Bernanke et à Gertler qu'il serait irresponsable de la part de la Fed d'ignorer une spéculation rampante. Rudi Dornbusch, un professeur au M.I.T (il est mort entre temps) pointa le fait que Bernanke et Gertler ne tenaient pas compte de ce que le crédit pouvait s'assécher après l'éclatement d'une bulle, et qu'un tel développement aurait de sérieuses conséquences sur l'économie. Remarquable prescience du disparu ! Dornbusch était de nationalité allemande ; il avait sans doute lu Carl Menger. Cet économiste autrichien n'est pas au programme de l'E.N.A, l'école qu'a fréquentée Alain Minc. L'épargne a été détruite par l'explosion nucléaire du marché et il faudra une décennie pour la reconstruire. C'est ce qu'ont compris instinctivement les ménages qui réduisent leur train de vie pour reconstituer leur épargne. Les banquiers font de même en reconstituant leurs fonds propres qui ont été dévastés par les produits toxiques.

Ce lent processus de reconstitution de l'épargne ne s'accorde pas avec le calendrier des politiques. Ils voudraient relancer le plus vite possible la machine pour maximiser leur chance d'être réélus. La loi d'airain des politiques est différente de celle du marché. On a longtemps fait croire au public américain que la Fed pouvait maintenir éternellement une croissance soutenue. C'est la fumeuse théorie du surplus d'épargne dans le monde inventée par Bernanke. Stephen Roach, le président du bureau de l'Asie de Morgan Stanley, était parmi les économistes qui pressaient la Fed d'ajuster sa politique. Voici ce qu'il disait : "Bernanke a joué un rôle clé dans le développement de la théorie du "surplus d'épargne dans le monde", que la Fed a utilisée comme une excuse très commode pour dire que nous faisions au monde une grande faveur en maintenant notre demande. Avec le recul, nous n'avions pas un surplus d'épargne au niveau mondial, nous avions un surplus de consommation en Amérique. Dans tous les cas, Bernanke était complice des bourdes colossales commises par la Fed." Cette leçon n'a pas été retenue par Obama qui s'apprête à donner 1000 dollars à 95 % des contribuables américains.

Hélas pour le nouveau roi, l'usine à gaz que ses prédécesseurs n'ont cessé de bricoler, a explosé. Le roi est nu. On ne s'apitoiera pas sur son sort. Plus grave est la confusion volontairement entretenue entre cause et conséquence. Si demain vous perdez votre emploi ou votre maison, ne blâmez pas les capitalistes mais les politiciens qui prônent une relance criminelle ! Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier un acte qui condamne l'avenir des générations qui nous succèderont.

Bernard Martoïa

 

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