Libérons-nous de la retraite !
Depuis que l’homme est homme, il a toujours pris sa retraite. On peut
même affirmer qu’il en est de même chez tous les grands singes. Les
choses n’ont changé qu’au dix-neuvième siècle de notre ère quand
l’industrialisation a attiré les paysans dans les villes. Les ouvriers
n’avaient plus le refuge familial des campagnes pour s’y retirer l’âge
venu en attendant la mort.
Le mécontentement et l’inquiétude de la population ouvrière donnèrent
naissance à des mouvements sociaux qui conduisirent les autorités à se
préoccuper du sort des ouvriers âgés. C’est ainsi que Bismarck créa pour
eux un régime de retraite destiné à les calmer mais certainement pas à
leur assurer une vieillesse heureuse. En effet le chancelier consulta,
au moment de créer ce régime, un expert à qui il fit cette demande : « A
quel âge faut-il fixer la retraite pour qu’on ne la touche jamais ? »
Après étude des statistiques, l’expert trancha : « A soixante-cinq ans,
Excellence, car c’est l’âge auquel les Prussiens décèdent. »
Depuis, les progrès de l’espérance de vie ont quelque peu modifié la
donne, et du coup on arrive à rester retraité, dans la plupart des pays
développés, pendant une bonne vingtaine d’années, ce qui ne va pas sans
poser des problèmes de financement. Les régimes de retraite adoptés dans
ces pays mêlent généralement la répartition et la capitalisation. La
France, quant à elle, a fait le choix exclusif de la répartition, ce qui
l’a conduite, faute de réformes et d’adaptations en temps utile, à
l’impasse actuelle où il n’y a plus que 1,4 cotisant pour un retraité,
ce qui signifie que le régime est en faillite.
Les gouvernants français se disent de temps en temps qu’il faudrait
prendre des mesures pour « sauver la répartition », mais ils se heurtent
aux partis et syndicats de gauche qui disent qu’il ne faut rien changer
et qui inventent des chiffres pour prétendre que le régime est à
l’équilibre. Aucun d’entre eux, ni d’ailleurs personne, n’ose affirmer
que le nombre des cotisants ne fait rien à l’affaire. Mais les «
réformes » des gouvernants ne jouent que sur l’âge de la prise de
retraite, ce qui devrait mécaniquement augmenter le rapport
cotisants-retraités… à condition que les travailleurs prolongés restent
des travailleurs et ne se transforment pas en chômeurs. Ce qui est en
effet à craindre, les salariés âgés étant mieux payés que les jeunes et
coûtant donc plus cher, en salaires et en cotisations sociales, à leurs
employeurs en raison des bienfaits de la Sécurité sociale qui, ayant
ruiné l’économie du pays se voit bien ruinant définitivement les
dernières entreprises encore en vie.
Les rares politiciens un peu raisonnables proposent qu’on ajoute de
la capitalisation à la répartition, ce qui donnerait un « mix » plus
gérable, et c’est en effet la solution choisie par plusieurs pays
occidentaux. Mais même ainsi « réparé », le régime de retraite reste une
incongruité dans le monde actuel. Il s’agit en effet d’un bloc de béton
noué au cou des centaines de millions de salariés des pays occidentaux.
Nous sommes en effet à l’heure du mouvement et de la souplesse. Il en
faut pour bénéficier de la liberté d’initiative que requièrent les
économies modernes. Un régime de retraite, même mixte, n’est vraiment
pas ce qu’il faut conserver pour évoluer dans le monde actuel !
Alors faut-il supprimer le régime de retraite ? Bien sûr, car cela ne
signifie nullement la suppression de la retraite elle-même. Ce que les
hommes veulent vraiment dans le fond de leur pensée, c’est prendre leur
retraite au moment qu’ils choisiront, en fonction des investissements et
des placements qu’ils auront faits librement durant toute leur vie et de
ce qu’ils peuvent en attendre de revenus d’inactivité.
On n’a pas attendu les retraites organisées par l’Etat pour épargner.
Seuls le peuple des moutons a besoin d’un gardien. Les hommes
normalement constitués n’ont besoin que de liberté. Et c’est cette
liberté qui les rend responsables. L’Etat ne doit conserver, dans ce
domaine, qu’une mission : veiller à ce que l’investissement et l’épargne
respectent des règles d’honnêteté et de saine gestion. Le reste
appartient aux individus.
Et la solidarité ? objecteront certains. Elle a bien d’autres
occasions de se manifester, ne serait-ce que par l’impôt. Et qu’on cesse
de nous rebattre les oreilles de cette vertu quand on sait à quel point
elle est détournée de son sens par les combines et les magouilles des
mieux placés et des plus influents dans l’appareil du pouvoir.
Rendons la retraite à ceux qui en sont les véritables propriétaires,
à savoir ceux qui la financent. Parmi les immenses avantages que cela
procurera à l’humanité, figure au premier rang l’extraordinaire capacité
d’initiative que l’évolution a offerte à l’homme et qui lui permet
d’affronter les situations les plus difficiles. Ne nous privons pas de
notre plus grande qualité pour le maintien d’une vieillerie paralysante.
Claude Reichman