Non, l’Etat ne peut acheter les cancres
!
Payer les élèves pour qu'ils aillent à l'école ? Cette idée absurde et
révoltante n'a pas suffi à freiner le gouvernement, qui met le doigt dans un
engrenage scandaleux. Depuis ce lundi matin, trois lycées professionnels de
l'académie de Créteil expérimentent la mise en place d'une "cagnotte"
collective (qui pourra atteindre 10.000 euros) destinée à récompenser
l'assiduité d'une classe à problèmes. Ces sommes pourraient financer des
permis de conduire ou des voyages de fin d'année.
L'initiative de Martin Hirsch, Haut-commissaire à la Jeunesse, veut lutter
contre l'absentéisme. Le recteur explique: "Notre expérimentation est aux
antipodes de l'individualisme consumériste". Reste que la logique d'une
telle économie aboutit à ceci: depuis 2008, au Royaume-Uni, 200.000 élèves
de familles défavorisées sont déjà payés de 11 à 33 euros par semaine pour
aller en cours.
Que des responsables politiques, dont Luc Chatel, nouveau ministre de l'Education,
en arrivent à soutenir de telles aberrations en dit long sur leur désarroi
et leur manque de repères face au désastre éducatif. Personnellement,
j'avoue avoir du mal à comprendre comment l'idée d'un tel marchandage
mercantile au cœur de l'école, sanctuaire de la gratuité, a pu franchir les
obstacles de la prise de décision. Proposer de l'argent en guise de
gratification n'a plus rien de commun avec les bons points et les médailles
de jadis. C'est la plus basse des flatteries, celle de l'intérêt
matérialiste, qui est ici encouragée, avec le risque évident d'être
généralisée aux autres lycées, au nom de l'égalité et de la non
discrimination.
Distribuer de l'argent aux cancres les moins assidus est un moyen commode de
ne pas regarder de plus près les causes de l'absentéisme dans certains
établissements. Or, cette réalité pose des questions complexes, à commencer
par la démission de certaines familles, plus ou moins bien intégrées. Le
laxisme des règlements intérieurs des lycées est un autre problème qu'il
faudrait regarder de plus près. Mais c'est le contenu des programmes qui
mériterait très certainement d'être revu pour ces élèves inadaptés au
fonctionnement scolaire, construit sur le très critiquable collège unique.
En tout cas, il est urgent que le gouvernement suspende cette mesure
corruptrice et indigne.
Ivan Rioufol
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