Eloge de l’esprit
français
Je remarque qu'il est de bon ton de débattre de l'identité nationale en
prenant ses distances vis-à-vis du passé de la France, que la pensée
conforme aimerait ranger au rayon des reliques ringardes et inutiles. De
Renan, n'est alors retenu comme définition de la nation que son "plébiscite
de tous les jours", alors même qu'il a écrit à ce propos : "Deux choses qui,
à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel.
L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en
commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le
désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage
qu'on a reçu indivis".
Ce mercredi matin (Canal+), le prévisible ministre de la Défense, Hervé
Morin, a pris à son tour la posture de ce qu'il croit être sans doute le
modernisme en déclarant, parlant du débat : "(Il) est intéressant, mais il
faut qu'il soit dynamique, que ce ne soit en aucun cas un débat nostalgique
ou comportant des relents passéistes".
Ce genre de cliché, qui est régulièrement servi à gauche, veut déconsidérer
ceux qui estiment que l'héritage de l'histoire et la mémoire collective sont
constitutifs de l'identité nationale et de son socle sur lequel un avenir
cohérent peut alors se construire. Morin (qui dans la foulée s'est dit
"favorable" à l'adoption d'enfant par des couples homosexuels) voudrait-il
faire l'éloge de la table rase qu'il ne s'exprimerait pas autrement. Il
explique: "Le débat ne doit pas conduire à stigmatiser une partie des
Français dans un pays où il y a sept millions de musulmans et dans une
société métissée comme l'est la société française". Bien. Mais cela n'oblige
pas la France à faire profil bas sur son passé. Deviendrait-il superflu de
célébrer le 11 novembre, cérémonie à laquelle, je suppose, le ministre de la
Défense a participé ce matin ?
Je me répète, je sais, mais les trous de mémoire organisés par de nombreuses
élites en quête de l'air du temps mettent en péril ce qui a constitué au fil
des siècles l'esprit français, singulièrement son impertinence et son goût
pour les libertés. A ce propos, je signale l'œuvre de réhabilitation du
passé heureusement entreprise par Maxime Tandonnet (1). L'auteur ressort
opportunément de l'oubli le premier acte de résistance au totalitarisme nazi
de la jeunesse française, le 11 novembre 1940. Ce jour-là, 3000 filles et
garçons ont remonté les Champs Elysées pour se rassembler devant l'Arc de
Triomphe, narguant les forces d'occupation dont la répression sera
impitoyable. "La manifestation du 11 novembre 1940 fut le tremplin de
l'entrée dans la Résistance de nombreux étudiants et lycéens de Paris",
explique Tandonnet. Au fait, a-t-il envoyé son livre à Morin ?
Ivan Rioufol
(1) Maxime Tandonnet, « 1940, un autre 11 novembre », Editions Tallandier
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