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14/1/09 | Bernard Martoïa |
Sarkozy veut construire un pont sur la rivière Kwaï Pour justifier son plan de relance, le gouvernement français a précisé que cet argent servirait en priorité aux dépenses d'investissement. Les sceptiques s'interrogent sur le bien fondé de la mesure et sur son financement sur les marchés obligataires. La France a-t-elle besoin d'un plan d'investissement ? Les ministres ont sans doute à l'esprit le plan de relance du gouvernement Mauroy de 1981. Celui-ci s'était soldé par un fiasco qu'il faut rappeler. Alors que l'économie mondiale entrait en récession, les socialistes décidèrent d'appliquer la théorie générale de l'emploi, de la monnaie et du crédit de John Maynard Keynes. Cette théorie fut inventée en 1936, l'année du Front Populaire, une manière pour la gauche de fêter son retour au pouvoir… Pour pallier la faiblesse du secteur privé, le gouvernement eut l'idée de recruter des fonctionnaires. Une aubaine pour ceux qui furent admis dans la fonction publique. Ce pouvoir d'achat artificiel, distribué à quelques milliers d'heureux, profita au reste du monde. L'économie française fut incapable de répondre à cette demande. La balance des paiements et la balance commerciale de la France furent largement déficitaires en 1982. Pour freiner l'invasion des produits électroniques asiatiques, le gouvernement eut l'idée d'établir un seul point d'entrée en France. Poitiers fut la ville choisie pour dédouaner ces produits. La symbolique était forte, avec Charles Martel stoppant l'invasion des Maures à la bataille de Poitiers en l'an 732. François Mitterrand connaissait le sens de l'histoire. On ne peut en dire autant de son successeur. Jacques Chirac organisa un référendum sur la constitution européenne le 29 mai 2005 : le jour anniversaire de la chute de Constantinople qui marqua la fin de l'empire chrétien d'Orient. La dévaluation de la monnaie fut vécue comme un affront à notre orgueil national. Le président François Mitterrand changea subrepticement de cap. Il s'engagea dans un plan de rigueur mené par son ministre de l'économie Jacques Delors. Il n'avoua pas aux Français qu'il s'était trompé d'époque. La théorie de Keynes datait de 1936, quand les économies étaient fermées. Mais avouer son erreur l'eût condamné à perdre ses chances de réélection en 1988. La relance mondiale et le problème du passager clandestin Conscients de l'inadaptation de la théorie keynésienne dans un monde moderne, les cigales se disent qu'il faudrait organiser une relance à l'échelle mondiale. Mais pour que ce plan ait une chance de réussir (ce que contestent les tenants de l'école autrichienne) il faut que tout le monde y participe. Pourquoi tout le monde ? Ce "tout" en question fait référence à un exemple tiré de la sphère syndicale. Lorsqu'une grève est menée et que les revendications des grévistes sont acceptées par le patronat, les non grévistes reçoivent les mêmes bénéfices. Ils n'ont pris aucun risque en ne participant pas à la grève et pourtant ils sont récompensés comme les autres. C'est pourquoi, dans l'industrie automobile américaine, les syndicats ont imposé que tous les salariés paient une cotisation syndicale. Un col bleu ne peut pas prétendre à un emploi dans cette industrie sans passer par les fourches caudines du syndicat que l'on appelle "agency shop." Dans l'économie, il existe aussi des situations qui profitent à certains. Comme la science économique se veut amorale, elle a donné à ce type de comportement le nom de "passager clandestin" ou "free rider" en américain. Ce plan de relance mondiale n'intéresse pas tout le monde. La fourmi allemande a travaillé et épargné pendant la belle saison ; elle ne veut pas y être associée. Elle a suffisamment de provisions pour lui permettre de passer l'hiver sans encombre. Le fossé se creuse entre Paris et Berlin. La cigale houspille la fourmi. Elle lui reproche son avarice. La fourmi ne veut pas ouvrir les cordons de la bourse. Elle a doublement raison de ne pas le faire. Sur un plan moral, céder ne lui apportera aucune reconnaissance de la part de la cigale. Les Allemands ont donné le nom de Club Méditerranée aux pays qui sont toujours débiteurs dans l'Euroland. Sur un plan économique, une relance ne fait qu'accroître les déficits. La vision simpliste de l'investissement par les Keynésiens Mark Thoma est un économiste de l'université de l'Oregon sise à Eugène. Il cite l'exemple d'une ville où existerait le plein emploi. Le principal pourvoyeur d'emplois est une usine de gadgets électroniques. La ville en question est divisée par une profonde vallée. Il existe un pont reliant les deux parties de la ville. Il est emprunté par les voitures uniquement. En raison de son délabrement, le pont a été interdit à la circulation des camions qui sont obligés de faire un long détour pour se rendre à l'usine en question. Si le gouvernement essaie de réparer le pont ou d'en construire un second pour les camions en période de plein emploi, il accaparera des ressources utilisées ailleurs. Par exemple, une grue occupée à la construction d'un immeuble sera déplacée pour la réparation du pont en question. L'intervention du gouvernement perturbe l'activité économique sans qu'il y ait un accroissement général de la production. Supposons que la récession frappe la ville. L'usine est contrainte de fabriquer moins de gadgets puisque la demande diminue. Elle débauche son personnel. Le gouvernement peut relancer l'activité de la ville en réparant le pont ou en construisant un second pour les camions. Il dispose d'une main d'œuvre non utilisée (les chômeurs de l'usine) et d'une grue disponible en raison du ralentissement de la construction d'immeubles. Dans une dépression, le choix ne serait plus entre un nouveau pont ou une nouvelle usine, mais entre un pont ou pas de pont du tout. Le défaut majeur de la théorie keynésienne est son aspect purement macroéconomique Dans ce scénario, il suffirait d'embaucher la main d'œuvre oisive (les ouvriers licenciés de l'usine de gadget) et d'utiliser des ressources non employées (la grue) pour retrouver le plein emploi de la ville. Les Keynésiens ignorent la complexité de la structure capitaliste. Pour construire un pont, il ne suffit pas d'une main d'œuvre générique et d'une grue. Il faudra du carburant pour transporter un personnel qualifié sur le chantier. Il est impensable de faire appel aux ouvriers licenciés de l'usine de gadgets électroniques pour la construction du pont. Ensuite, une grue ne suffira pas. Il faudra des clous, des planches, des scies et plein d'autres matériaux et outils qui seront retirés inévitablement du marché. Tous ces éléments ignorés ne sont pas des ressources inutilisées par le secteur privé. Le grand chantier public se fera au détriment de milliers d'investissements privés. Comme le disait notre grand économiste Frédéric Bastiat (1801-1850), il y a ce qu'on voit et il y a ce qu'on ne veut surtout pas voir dans toute décision prise par un gouvernement. Pour les Keynésiens, l'économie se résume à des ajustements de variables de température et de pression comme dans une usine à gaz. S'il y a une baisse dramatique d'activité dans le secteur bancaire, dans l'automobile ou bien dans le bâtiment à la suite de la crise des subprimes, il suffit de lancer des grands travaux d'infrastructure. Le New Deal de Roosevelt est leur seule référence. La main d'œuvre n'est pas plus interchangeable que les biens de production. On ne peut pas faire appel à un banquier licencié pour la construction d'une usine de traitement des eaux usées. Le banquier ne retrouvera peut être pas un emploi dans la banque mais il trouvera, au bout de quelques mois de recherche et d'une éventuelle formation, un emploi dans le secteur tertiaire. Pas plus que l'on ne pourra utiliser une bétonneuse pour un autre usage que celui pour lequel elle a été conçue. Si la demande mondiale de béton baisse, elle ne sert plus à rien. C'est la conséquence d'un surinvestissement engendré par la bulle immobilière. Tout comme les piscines en Californie ont été transformées en patinoires par la faute des Keynésiens (voir mon article du 29 décembre 2008). Ce processus d'ajustement post-crise ne se décrète pas dans les cabinets ministériels. Il en est ainsi de la structure capitaliste très complexe qui fait appel à des millions de décisions individuelles qui s'ajustent les unes aux autres en fonction des indicateurs du marché. A condition que le gouvernement ne change pas sans arrêt la règlementation et la fiscalité qui faussent le marché. Le coût d'un investissement public est toujours passé sous silence Paul Krugman a dit récemment : "Normalement nous devons être vigilants à ce que les fonds publics soient dépensés sagement ; mais à présent, le point crucial est que l'argent soit dépensé vite." Donnez-lui vite un hélicoptère pour répandre l'argent à tort et à travers ! John Maynard Keynes, considéré l'homme de l'année 2009 par Le Figaro, suggéra d'enterrer des bouteilles contenant des billets de banque dans les mines désaffectées et de laisser le secteur privé les déterrer. C'était un moyen comme un autre de soutenir la demande… Tout se passe comme si les cigales avaient à leur disposition beaucoup d'argent. Il n'en est rien. Elles devront l'emprunter sur les marchés obligataires et à un taux élevé. Mais les cigales s'en moquent éperdument puisqu'elles ne disent jamais comment elles vont financer leurs projets. Tout ce qui compte pour elles, c'est d'épater la galerie par les effets d'annonce. Cela les valorise d'être généreuses avec l'argent des autres. Elles ne dépenseraient pas de la même façon si cet argent était le leur. Elles seraient sans doute plus prudentes dans leurs choix. Elles évalueraient longuement la rentabilité d'un projet en pesant tous les risques. En bref, elles feraient ce que font tous les chefs d'entreprise du secteur privé. Quand l'État emprunte autant d'argent sur le marché obligataire pour refinancer sa dette, il assèche inévitablement le marché à son profit. Autant d'investissements qui ne sont pas réalisés aujourd'hui par le secteur privé, autant d'emplois qui ne seront pas créés demain selon l'adage du chancelier Helmut Schmidt. Le meilleur investissement à réaliser en France serait que l'État se recentre sur ses fonctions régaliennes (armée, police, justice et affaires étrangères) et abandonne tout le reste au secteur privé. La nomenklatura qui se repaît sur la bête ne veut pas en entendre parler. Bernard Martoïa
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