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28/4/09 | Jean-Jacques Rosa |
La mondialisation n’empêche
pas les nations de
contrôler individuellement leur destin
« La globalisation n’est pas coupable ».C’est sous ce titre qu’a été traduit en français (La Découverte, 1998) l’ouvrage de Paul Krugman « Pop internationalism » (MIT Press, 1996) qui entendait démontrer que les discours politiques sur la compétitivité des nations, l’équilibre nécessaire des échanges extérieurs, et les effets délétères allégués du libre-échange sur les salaires et le niveau de vie des pays riches, témoignaient d’une ignorance manifeste des faits comme de la théorie économique. Je ne résiste pas au plaisir de citer un passage (p. 130) qui conserve, dix ans après, tout son sel : « Parfois même, ce que croient tous les gens sérieux est en totale contradiction avec les résultats des meilleures recherches. Par exemple, les plus hauts responsables des pays développés et les journalistes les plus influents s’accordent sur le fait que la coordination des politiques internationales par le biais du G7 est d’une importance capitale si nous voulons sortir de la situation mondiale actuelle marquée par le ralentissement de l’activité. Ils y croient, bien que personne, parmi tous ceux qui ont essayé d’évaluer quantitativement les bénéfices de cette coordination des politiques macroéconomiques, n’ait jamais pu fournir la preuve qu’elle puisse produire des effets positifs significatifs. » Rien de nouveau aujourd’hui, sauf à ajouter un nouveau forum, le G20, au G7 initial. Et, cerise sur le gâteau, l’auteur qui se classe résolument « à gauche » aux Etats-Unis, conclut son essai par une « critique du nouvel interventionnisme » (pp. 207-215). A méditer dans cette période de néo-néo-interventionnisme triomphant, non parce que ses vertus auraient soudainement été confirmées, mais en raison des crises financières successives que des périodes de croissance réelle exceptionnelle ont induites dans des systèmes bancaires surdimensionnés, politiquement trop puissants, trop cartellisés et prenant trop de risques inconsidérés. Rien de très nouveau là non plus puisque la liste est longue, depuis 150 ans, des crises financières récurrentes intervenant dans les phases de forte croissance. Il a été souvent souligné que la globalisation n’est pas non plus un phénomène inédit : la première mondialisation s’est en effet développée de 1875 à 1910 comme le rappellent, entre autres, Bruce Greenwald et Judd Kahn dans leur livre récent (Globalization : the irrational fear that someone in China will take your job, Wiley, 2009). Mais la thèse des auteurs va beaucoup plus loin : ils soutiennent que la globalisation n’empêche pas les nations de contrôler individuellement leur destin, qu’elle n’est pas la cause de la disparition de nombreuses catégories d’emplois (moins d’emplois techniques de production et plus d’emplois managériaux et dans les services), ou du fait que les salaires n’aient que peu augmenté dans la période récente, de 2,7 % l’an aux Etats-Unis entre 2000 et 2006 par exemple alors que le coût total du travail augmentait de 6,4 % l’an pendant le même intervalle. Ils écrivent par exemple : « Jobs in the developed world are not going to disappear because of globalization. Automation has always had a greater impact on gross job losses than trade, and we have lived with automation for more than a century. (…) growth has historically created managerial, professional, and other white-collar jobs for the children of the displaced workers.” (p. 162). Qui plus est, le point haut de la globalisation des échanges a sans doute déjà été atteint selon les auteurs, parce que ces échanges portent surtout sur les produits industriels, dont la part va décroissant dans la production des pays riches, entre lesquels l’essentiel des échanges commerciaux s’effectue, alors que les services, qui se développent davantage, restent le plus souvent produits localement. Bien d’autres points sont à citer dans ce remarquable petit livre, notamment la mise en évidence du rôle somme toute modeste des mouvements internationaux de capitaux dans le financement de ce monde globalisé. Deux sous-titres du livre sont parlants : « Foreign direct investment : Not where the action is », et plus loin : « Financial markets and portfolio investment : Not here either ». C’est un sujet sur lequel nous aurons à revenir. Mais nous pouvons dès maintenant conseiller la lecture de Greenwald et Judd, sans modération. Et ces analyses, précisons-le, sont le fait d’un auteur (Greenwald) qui les a enseignées à l’université Columbia, en commun avec Joe Stiglitz, ce qui ne le range pas a priori dans les rangs des dogmatiques du libre-échange ou des marchés internationaux. Jean-Jacques Rosa
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