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17/12/08 Jean-Jacques Rosa
    Le protectionnisme n’est pas la                           solution

La critique des échanges libres, qui constituait déjà le sport favori des non économistes en temps ordinaires, redouble d’intensité en cette période de crise financière et de récession. Le thème dominant de ce néo-protectionnisme est que la liberté des échanges, dont les économistes font le moteur indispensable de la croissance, n’a pas été, en réalité, à la source de la prospérité des pays aujourd’hui riches. Alors que les néo-libéraux comme Thomas Friedman soutiennent que seul le capitalisme sans entraves et le commerce international sans barrières peuvent sortir les pays les plus pauvres de leur misère, Ha-Joon Chang * entend montrer que les superpuissances actuelles - depuis les Etats-Unis et la Grande-Bretagne jusqu’à sa Corée natale – ont toutes obtenu la prospérité par la pratique d’un protectionnisme sans scrupule et l’interventionnisme public dans l’économie. Ces pays riches ont oublié leur passé et tentent d’imposer aux pays en développement, par le truchement de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International, et de l’Organisation Mondiale du Commerce, la doctrine qui leur convient mais qui n’est pas celle dont ces pays ont besoin. Les pays riches feraient mieux de revenir à des politiques plus généreuses, comme celle du plan Marshall, pour aider les pays pauvres à suivre leur propre voie vers le développement.

Deux choses sont incontestables : le développement de l’Occident s’est fait tout autant par le commerce que par la force et la violence des armes, comme le rappellent Ronald Findlay et Kevin O’Rourke dans leur récent et remarquable ouvrage, Power and Plenty : Trade, War, and the World Economy in the Second Millennium (Princeton University Press, 2007). La route des Indes, occidentales comme orientales, a été ouverte par des bateaux de commerce qui étaient aussi des forteresses flottantes, et par la conquête autant que par l’échange. Bien avant dans l’histoire, c’était aussi la méthode des Vikings, notamment dans leurs entreprises commerciales en Europe centrale et jusqu’à Constantinople, comme également celle de l’empire des steppes constitué par les Mongols. Il y a eu aussi rivalité entre l’Angleterre et les Pays-Bas, et rivalité armée, pour le contrôle des débouchés et des échanges. De même entre l’Angleterre et l’Espagne, et le plus souvent par le moyen de la piraterie de haute mer. Donc commerce et violence dans l’histoire, oui, mais commerce quand même et non pas fermeture. Rappelons-nous aussi que le Japon a été ouvert aux échanges par les canonnades de l’amiral Perry, mais il en a magnifiquement tiré parti par la suite.

Il est vrai également que de nombreux pays ont connu un développement incontestable sous des régimes mercantilistes et même communistes et planifiés, telle la Russie de Staline entre les années 30 et la disparition du dictateur, parvenant, au début des années 60, à constituer une menace très réelle pour la première puissance économique et militaire mondiale, les Etats-Unis.

Mais ce dernier point appelle à son tour deux observations. Tout d’abord nous ne savons pas si ces économies n’auraient pas en réalité connu un développement plus rapide et moins pénible sous un régime plus libéral pratiquant l’ouverture économique. Les exemples des petits pays très ouverts sur l’extérieur et qui ne prétendent pas s’imposer par la force militaire plaident nettement en ce sens. Et en sens inverse, l’expérience des politiques de substitution aux importations pratiquées par les pays d’Amérique latine après la dernière guerre mondiale les a clairement conduits au déclin.

En deuxième lieu, il faut considérer la dynamique historique et les conditions changeantes des équilibres économiques. Comme je l’ai montré dans Le second XXème siècle, les progrès comparés des techniques de production et des technologies de l’information peuvent modifier les modes d’organisation les plus efficients : en pénurie relative de l’information face à la croissance accélérée de la production, la centralisation peut être supérieurement efficace, alors que dans des périodes d’abondance de l’information relativement à la production, la décentralisation et les marchés peuvent donner de bien meilleurs résultats. Constater que beaucoup de pays ont connu, dans les deux premiers tiers du XXème siècle, un développement sous un régime de forte intervention de l’Etat et de commerce contingenté n’est donc qu’une évidence, et cela ne veut pas dire qu’il puisse en aller de même au début du XXIème siècle, alors que l’information est partout, son coût des plus réduit, et les échanges particulièrement faciles. De fait, même la Chine qui a voulu conserver un système politique autocratique et centralisé par le parti communiste, a connu un essor extraordinaire à partir de moment où elle a ouvert son économie aux marchés internationaux, au système des prix et au profit.

Tout l’environnement économique, technologique, juridique, commercial et militaire, a changé radicalement depuis l’ère d’accession à la richesse des grandes nations occidentales. Vouloir imiter aujourd’hui les politiques qui leur ont réussi à l’époque, en négligeant les opportunités nouvelles qu’offre le monde fini du XXIème siècle, serait pour le moins imprudent et au pire autodestructeur. Si comparaison en général n’est pas raison, la comparaison internationale et inter-temporelle des politiques de développement peut nuire gravement à votre santé économique.

Jean-Jacques Rosa

* Ha-Joon Chang, Bad Samaritans : The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism. Bloomsbury Press, 2008.

 

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