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9/5/10 | Jean-Jacques Rosa |
La zone euro est condamnée à disparaître ! Un impôt fédéral continental serait la pire cause d’effondrement des économies européennes, après la faute majeure de 1999, celle de la création de l’euro, que nous n’avons pas fini de payer comme le montrent les évènements en cours. Est-il nécessaire d’exprimer l’évidence, dans des économies - particulièrement celle de la France - qui souffrent d’un fardeau fiscal excessif décourageant massivement l’offre comme la demande de travail (voir mon article « Comment gagner plus » disponible sur mon site web) ? Oui sans doute puisque la classe parlante ne connaît qu’une seule « solution » à tous les problèmes de société : plus d’impôts et plus d’interventions administratives. Ainsi, le quotidien parisien Le Monde vient-t-il d’éprouver le besoin, pour la première fois depuis mon article sur les effets ravageurs du SMIC, destructeur de l’emploi des jeunes non qualifiés, paru en … 1994, de demander l’avis de l’hérétique que je suis sur la crise de l’euro (Le Monde du 5 mai 2010). C’est en soi une indication intéressante par ce qu’elle révèle sur la fragilisation du dogme monétaire qui était censé, souvenez-vous, nous apporter la croissance garantie ainsi qu’un « bouclier » incontournable contre les divers chocs financiers et économiques qui affecteraient les autres et malheureux pays hors zone, mais nous épargneraient, nous, et nous seuls. Dans les limites étroites de cet exercice j’ai indiqué que je ne voyais pas comment la Grèce pourrait éviter une sortie de l’euro, ce qui serait certainement la seule solution efficace pour elle de retrouver la croissance, plutôt que de s’enfermer dans une politique de déflation pour de longues années, porteuse de dépression économique et de graves risques sociaux et politiques. Après tout l’Argentine a connu des problèmes analogues qu’elle a surmontés en peu d’années, après avoir décroché sa monnaie de la parité avec le dollar (malgré les efforts mal inspirés du FMI pour la « sauver » par des prêts, assortis de l’imposition d’une politique restrictive, erreur que l’institution réitère aujourd’hui avec la Grèce) et après avoir fait défaut sur le remboursement de sa dette. La Grèce doit donc choisir entre la dépression prolongée assortie de troubles politiques, et la sortie de l’euro avec répudiation de sa dette, partielle ou totale. Prolonger le déni de réalité n’améliorera pas la condition du patient mais l'aggravera encore. Dans la suite de l’interview il m’est alors demandé si la zone euro elle-même est condamnée à disparaître. C’est bien ce que je crois. Il est clair en effet que la crise actuelle montre la validité de la théorie des zones monétaires optimales et le rôle fondamental d’un taux de change adéquat pour la poursuite de la croissance. Les évolutions observées depuis 1999 ont montré, à l’inverse, l’inanité de la théorie étonnante selon laquelle la création d’une monnaie commune suffirait à obliger des économies dissemblables à converger vers un même rythme d’inflation et des taux de croissance comparables, bref vers les conditions d’une zone monétaire optimale. C’est ce que ces théoriciens défenseurs à tout prix de l’euro ont baptisé la « théorie des zones monétaires endogènes ». En somme la monnaie aurait la capacité extraordinaire de modeler l’économie réelle à volonté. Pourquoi pas alors une monnaie mondiale qui suffirait à homogénéiser toutes les économies de la planète, depuis les plus arriérées jusqu’aux plus évoluées ? Le problème du développement serait ainsi résolu par la monnaie. L’hypothèse débouche sur l’absurde. Dans ces conditions une zone euro plus ou moins large pourrait néanmoins subsister entre pays qui remplissent ensemble les conditions d’une zone monétaire optimale : peut-être l’Allemagne et ses voisins immédiats, mais, je l’espère pour le niveau de vie des Français, pas la France … Il existe cependant une possibilité de survie d’une monnaie partagée entre des Etats qui ne répondent pas aux critères des zones monétaires optimales. C’est le cas notamment des Etats-Unis dont les différents Etats pourraient trouver un avantage économique à se répartir entre plusieurs zones monétaires (voir par exemple l’article intéressant de Geoffrey M.B. Tootell, « Central Bank Flexibility and the Drawbacks to Currency Unification », New England Economic Review, May/June 1990, ou encore plus récemment David Beckworth, «One Nation Under the Fed? The Asymmetric Effects of U.S. Monetary Policy and Its Implications for the United States as an Optimal Currency Area", Working Paper, McCoy College of Business, Texas State University). Les Etats-Unis cependant peuvent se permettre de conserver un dollar unique d’abord parce qu’ils ont créé cette monnaie unique à une autre époque, le XIXème siècle, dans laquelle des facteurs économiques de fond poussaient les unités politiques et économiques à rechercher la grande dimension (ce que j’analyse dans L’erreur européenne, comme dans Le second vingtième siècle). Mais de plus ils peuvent maintenir cette monnaie unique face à des chocs qui affectent différemment leurs différents Etats membres parce qu’ils disposent d’un dispositif amortisseur qui n’existe pas dans la zone euro : l’impôt principal y est au niveau fédéral, alors qu’il est essentiellement au niveau national en Europe. De ce fait l’Etat fédéral peut aider les Etats les plus touchés par une crise avec les recettes fiscales prélevées sur les Etats qui continuent à connaître la prospérité. Ce qui rend la crise tolérable pour les premiers. L’amortisseur fiscal rend tolérable le fonctionnement d’une zone monétaire non optimale, bien que cette solution soit économiquement inférieure à celle qui consisterait à regrouper entre eux les Etats qui répondent ensemble aux conditions d’une zone monétaire optimale. Avoir dit cela ne signifie en rien que je préconise la création en Europe d’un impôt fédéral représentant 30 ou 40% du PIB européen, comme l’article du Monde semble l’indiquer. Ce serait à mon avis un désastre, d’abord parce que les Etats nationaux ne renonceraient certainement pas à leurs ressources actuelles, et par conséquent un impôt fédéral viendrait s’ajouter aux impôts nationaux déjà excessifs, décourageant plus encore l’activité économique. Mais en tout état de cause cela semble exclu car nous ne sommes plus au XIXème ni au XXème siècle : l’heure n’est pas aux empires et aux impérialismes, bien au contraire. La dimension moyenne des nations tend à diminuer dans nos économies d’information, de globalisation des marchés et de fragmentation des organisations hiérarchiques (dont les Etats). L’essai de création d’un super Etat européen serait ainsi voué à l’échec, ce que les refus successifs des électorats nationaux aux tentatives fédéralistes de ces dernières années ont assez clairement confirmé, malgré les pressions constantes des establishments politico-économiques en faveur d’une telle politique centralisatrice. C’est pourquoi la viabilité de la zone monétaire non optimale que constitue la zone euro est des plus douteuses car la voie de l’amortisseur fiscal n’est pas praticable. En matière de fiscalité, tout au contraire, ce dont les Etats européens ont réellement un besoin urgent, c’est d’un allègement majeur du fardeau, et en particulier de l’impôt sur le travail qui continue à augmenter pour financer la croissance insoutenable de l’organisation corporatiste de la « providence bismarckienne » - la collusion entre les entreprises, les syndicats, et les administrations d’Etat – qui , valable à la fin du XIXème siècle, n’est plus adaptée en rien aux conditions du début du XXIème. C’est dire, pour conclure, que je ne vois strictement aucune possibilité de sauvegarder l’euro actuel par imitation des Etats-Unis du XIXème siècle et la création d’un impôt fédéral européen. Jean-Jacques Rosa |