Sacco et Vanzetti
étaient-ils vraiment innocents ?
Le 23 août 1927, Sacco et Vanzetti sont morts sur la chaise électrique.
Les médias nous ont, une fois de plus, rappelé le 23 août dernier le destin
tragique de ces deux victimes innocentes immolées par une Amérique raciste
et peu respectueuse des droits de l’homme à l’issue d’un procès truqué.
Mais Sacco et Vanzetti étaient-ils vraiment innocents ?
Voici les faits :
Le 15 avril 1920, dans une banlieue de Boston deux convoyeurs de fonds
furent attaqués dans la rue, abattus à coups de revolver et leur argent
volé. Trois semaines plus tard la police arrêta deux immigrants italiens :
Nicola Sacco, ouvrier dans une fabrique de chaussures, et Bartolomeo
Vanzetti, un marchand de poisson. Tous deux étaient des immigrants italiens
connus pour leur engagement anarchiste.
Leur procès se déroula l’année suivante et tous deux furent condamnés à
mort. L’exécution n’eut lieu que le 23 août 1927, sept ans après le crime,
lorsque furent épuisés tous les recours que permet le droit américain.
Les témoins de l’accusation affirmèrent avoir vu les deux inculpés sur les
lieux du crime. Ceux de la défense assurèrent qu’ils se trouvaient en
différents lieux de Boston. Personne ne mettait cependant en doute le fait
que Sacco ne s’était pas rendu le jour de l’agression, comme d’habitude, à
son travail. Pour la défense, la police avait manipulé ses témoins. Pour
l’accusation, ceux de la défense, tous des Italiens partageant des opinions
anarchistes, n’étaient pas crédibles. Difficile donc aujourd’hui de se
forger une opinion au vu de ces témoignages, qu’ils soient à charge ou à
décharge.
Restent les preuves matérielles. Au moment de leur arrestation, Sacco et
Vanzetti étaient armés. Vanzetti portait un pistolet de calibre 38 qui
d’après l’accusation aurait appartenu à l’une des victimes (ce qui ne fut
jamais démontré de manière convaincante). Sacco, lui, possédait un Colt
automatique de calibre 32. Or, les quatre balles trouvées sur les lieux de
l’agression (et immédiatement marquées par la police pour identification
ultérieure) avaient été tirées par un calibre 32.
Pour les experts en balistique de l’époque, la balle marquée III (qui avait
provoqué la mort de l’une des victimes) pouvait provenir du Colt de Sacco.
De plus, elle était d’un type obsolète qui n’était plus fabriqué. Or, on
trouva sur Sacco plusieurs balles de ce type et de même marque (Winchester).
Après le procès, plusieurs membres du jury expliquèrent que cette preuve les
avait convaincus de la culpabilité des accusés.
Elle ne désarma cependant pas la défense qui prétendit qu’une balle tirée
par la police avec le Colt de Sacco avait été substituée à celle trouvée sur
les lieux du meurtre.
Avec les progrès de la balistique on put montrer par la suite (en 1961 puis
en 1983) que non seulement il était certain que la balle marquée III avait
été tirée par le pistolet de Sacco, mais surtout que l’une des douilles
trouvées sur les lieux de l’agression provenait de cette même arme. Comme
ces douilles ne jouèrent aucun rôle au cours du procès (car à l’époque on ne
savait pas identifier l’arme dont elles provenaient) il est exclu qu’elles
aient été manipulées par la police. De plus, des experts montrèrent
également que certaines balles trouvées dans les poches Sacco provenaient
d’un même lot que plusieurs de celles découvertes sur les lieux du crime.
A la lumière de ces faits il est difficile de douter de la culpabilité de
Sacco si ce n’est de celle de Vanzetti !
Alors pourquoi tant d’acharnement pour les défendre encore aujourd’hui ?
L’avocat de Sacco et Vanzetti, Fred Moore, connu pour ses positions
radicales, défendit ses clients en politisant le procès. Il argua que leurs
convictions anarchistes étaient la vraie raison de leur inculpation. Après
le procès, ce fut aussi le cri de ralliement d’une partie de l’opinion
publique et des intellectuels qui prirent position en faveur des condamnés.
Je rappelle ici que l’anarchisme n’était de toute façon pas une question
d’opinion : depuis la fin du 19ème siècle, de nombreux attentats sanglants
avaient été perpétrés aux Etats-Unis en son nom.
Cependant, une lettre de Sinclair Lewis découverte récemment (voir l’article
de Jean O. Pasco dans le Los Angeles Times du 24 décembre 2005) montre que
le célèbre romancier – l’un des champions les plus véhéments de la cause des
deux anarchistes – avait appris par leur avocat qu’ils étaient bien
coupables, ce qui pourtant n’avait pas changé son attitude en public
(1). Fred Moore, ayant appris la vérité en 1923, fut
licencié par ses clients. En l’absence de ce personnage fantasque (et
cocaïnomane notoire), l’opinion publique commençait à se désintéresser de
l’affaire.
Elle fut ranimée deux ans plus tard par un révolutionnaire allemand,
anciennement proche de Lénine, qui maintenant dirigeait avec maestria la
propagande communiste à l’échelle planétaire. Le principal objectif de Willi
Münzenberg, l’homme qui inventa l’agit-prop, était de discréditer
l’Amérique, le seul contrepoids au mythe de la Révolution . L’affaire Sacco
et Vanzetti se présentait à point nommé (et peu importait que les
anarchistes fussent les ennemis les plus implacables des communistes).
Aux Etats-Unis, le nouveau comité de soutien, maintenant secrètement sous
direction communiste, réussit à collecter un demi-million de dollars aux
(dont le comité ne reçut que 6 000 dollars) et à organiser de spectaculaires
manifestations de soutien en Europe (et particulièrement en France) comme en
Amérique. Les résultats de cette campagne furent véritablement
extraordinaires : les Etats-Unis allaient désormais passer pour un pays
dirigé par une extrême droite fascisante qui persécute la classe ouvrière et
punit les délits d’opinion (un scénario semblable allait être joué au début
des années 1950 avec l’affaire Rosenberg) !
Etant donné toutes les preuves qui existent de la culpabilité certaine de
Sacco et probable de Vanzetti, comment se fait-il que tant d’intellectuels
(dont le métier, me semble-t-il, est de penser, donc de démêler le vrai du
faux) aient pris position avec virulence pour leur innocence et crié au
complot et à la manipulation de la justice ?
Quelques-uns savaient que le cordonnier et le marchand de poissons étaient
coupables, mais au nom d’une vérité supérieure (l’Amérique est fasciste,
raciste, impérialiste, etc.) ils ne voulaient l’admettre publiquement.
Les autres étaient et sont encore sincèrement persuadés de l’innocence de
Sacco et Vanzetti, ce qui signifie qu’ils refusent d’examiner honnêtement
des faits qui risquent de ne pas coller avec la vue du monde qu’ils se sont
formée a priori.
Florin Aftalion
1 Au moins deux autres témoignages de la culpabilité de Sacco existent :
celui du dirigeant anarchiste Carlo Tresca (1941) et de Giovanni Gambera, un
ami de Sacco et Vanzetti (1982). Ces témoignages révèlent également que
Vanzetti, même s’il n’avait pas tiré, était au courant de l’attaque des
convoyeurs.
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