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24/4/21 Claude Reichman
     
                   Seuls les morts ne rêvent pas !

Personne en France n’est capable de dire ce qu’il va se passer dans le pays au cours des prochaines années. Le choc provoqué par l’épidémie du coronavirus n’a été jusqu’à présent ressenti qu’à travers ses cent mille morts et l’arrêt de l’économie. Or si terrible que soit le bilan humain et la désolation des proches des victimes, ils ne sont pas si exceptionnels que cela, puisque chaque année six cent mille Français disparaissent. Quant à l’économie, il y a longtemps qu’elle est en survie artificielle, notre pays ayant presque autant de fonctionnaires que d’agents privés, ce qui se traduit par l’impossibilité de la moindre initiative et du moindre investissement, autrement dit par la stagnation généralisée.

Il n’y avait donc qu’un tout petit pas à franchir pour en arriver à la situation actuelle. C’est fait. Le problème est de savoir comment les Français vont se comporter quand on va leur demander de reprendre leur activité antérieure (c’est-à-dire de ne pas faire grand-chose) et que l’Etat sera incapable de maintenir leur train de vie.

Assistera-t-on à une grande révolte ou à la dissolution des pouvoirs publics et des services qu’ils sont censés rendre ? Je penche pour la deuxième hypothèse. D’une part parce que des décennies d’assistanat pour les uns et d’esclavage pour les autres ont produit une hébétude générale. Et d’autre part parce que pour se révolter, il faut avoir un adversaire et que le responsable de la catastrophe aura disparu dans la nature.

Un de mes amis m’a raconté qu’en mai 68, haut responsable au ministère de l’Intérieur, il était seul – je dis bien seul – place Beauvau. La capacité de désertion de l’administration est sans limite ! Elle se vérifiera cette fois encore.

Il y a longtemps que je réfléchis à une situation de ce type. Je l’ai même décrite dans « La révolution des termites », paru en 1990, il y a donc plus de trente ans. Rien d’étonnant à ce délai. Le déclin se fait à un rythme lent, jusqu’à la brutale accélération finale.

Les termites, à la suite d’une mutation génétique, étaient devenus soudain plus agressifs, attaquant le béton, l’acier et le verre, et non plus seulement le bois, et s’en prenant exclusivement aux bâtiments publics, en raison de l’odeur particulière que dégage l’administration. Je ne vois pas de différence essentielle avec la situation actuelle, où l’Etat se révèle incapable de faire face aux problèmes posés par les coronavirus et se décompose sous les regards stupéfaits d’une population dressée à lui obéir depuis des siècles.

Dans le livre, les termites ayant levé le camp, les Français recommencent leur vie en se passant de l’Etat. C’est à mon avis ce qu’ils vont devoir faire une fois le virus parti. L’Etat tentera de maintenir sa férule, mais il devra très vite y renoncer face à la disparition de ses ressources. Plus d’argent, plus d’Etat ! Finalement le virus aura réussi ce que nous n’avons pu faire en trois quarts de siècle : tuer le Minotaure !

Il y a bien des années, à la tête d’un syndicat de ma profession, j’avais lancé une contestation consistant à payer nos impôts à Cayenne, pour bien montrer que la fiscalité c’est le bagne. C’était légal, et cela plongea les services fiscaux dans une grande difficulté, tant ils n’étaient pas préparés à réorganiser leur dispositif. Les percepteurs appelèrent les contribuables contestataires en leur demandant de faire un geste d’apaisement et de bien vouloir leur refaire un chèque moins exotique. Le mien le fit aussi, par l’intermédiaire d’une de ses agentes qui, bien lestée de consignes d’amabilité et de compréhension, finit par m’entendre lui dire que, le mot d’ordre syndical étant levé, j’allais lui donner satisfaction. « Le monsieur veut bien payer ! », lança-t-elle avec un immense soulagement à son chef, sans se soucier que je l’entendisse. Eh oui, Mesdames et Messieurs, le nœud de tous nos problèmes c’est de bien vouloir payer. Sinon …

Sinon, d’ordinaire, c’est la contrainte, l’huissier, la prison. Sinon, demain, ce sera …rien du tout, le silence de mort qui règnera sur les plaines désolées de l’Etat en déroute.

Certains, je les entends d’ici, me diront que je rêve. Je n’ai qu’un mot à leur dire : seuls les morts ne rêvent pas !

Claude Reichman






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