Crise financière : l’étalon or contre
les pompiers pyromanes
N’était le cortège de millions de victimes de la crise qui s’allonge
chaque jour, le spectacle de nos banquiers centraux et de nos gouvernants
donnerait plutôt envie de rire. Voilà des pyromanes qui se promeuvent
eux-mêmes dans le rôle de pompiers. Hélas ! Le feu qu’ils ont eux-mêmes
allumé, et qu’ils prétendent éteindre, il est à craindre qu’ils en ravivent
encore les flammes.
Il y a pourtant une solution à cette crise, mais ils seront les derniers à
seulement l’évoquer publiquement, car elle remettrait en cause leur propre
pouvoir.
Le retour à l’étalon-or, dont on osait encore parler ouvertement il y a un
demi-siècle - à la place même qu’occupe aujourd'hui Nicolas Sarkozy (1) -,
n’est même pas à l’ordre du jour de la réunion du G 20 qui se tient à
Londres actuellement.
Le plus inquiétant dans la crise actuelle, en effet, ce n’est pas la crise
elle-même, mais l’analyse qu’en font les princes qui nous gouvernent, mal
conseillés par des économistes qui ont pignon sur rue.
Partout on nous répète qu’il s’agit d’une crise de marchés que l’on aurait
eu la folie de déréguler et qu’il faudrait d’urgence réglementer à nouveau
pour mettre un terme à l’ « exubérance irrationnelle des marchés ». Sur le
thème « Keynes est de retour ! », lequel ne méritait ni cet excès d’honneur
ni cette indignité, on réclame partout à cors et à cris davantage d’Etat en
même temps que davantage de coopération internationale, sans se rendre
compte que ces deux souhaits sont contradictoires : chaque Etat cherche
d’abord, naturellement, à protéger ses intérêts comme déjà le font
apparaître les différentes politiques économiques qui sont menées « pour
sortir de la crise ». Soit dit en passant, la « politique de l’offre » dont
on se vante tant en France, par rapport à la « politique de la demande » qui
a cours notamment en Grande-Bretagne, est tout aussi condamnée à l’échec si
les investissements ainsi artificiellement lancés ne sont pas rentables et
accaparent des moyens en capital et en main d’oeuvre qui auraient pu être
plus judicieusement employés.
Etats et banques centrales sont en fait à l’origine du cataclysme actuel.
C’est cela que l’on nous cache et c’est cela qu’il faut d’abord montrer.
On le sait, la crise est née aux Etats-Unis de la défaillance des deux
piliers du refinancement immobilier, Freddie Mac et Fannie Mae. Ces agences
disposaient d’une ligne de crédit garantie par l’Etat, ce qui leur donnait
la possibilité d’emprunter sur le marché à des taux d’intérêt plus faibles
qu’une banque ordinaire. Comme l’écrit lui- même l’un des plus éminents
théoriciens et avocats de la Régulation (avec une majuscule, car il s’agit
d’une véritable Ecole en France), ces agences assuraient de la sorte « le
maintien d’une offre de crédit à des conditions plus favorables que si le
marché se régulait seul » (2). On peut déduire de cet aveu que si le marché
avait été laissé libre de fonctionner selon ses propres lois, de tels excès,
calamiteux, ne se seraient pas produits.
Toutefois, il faut encore expliquer comment les crédits pourris générés par
Freddie Mac et Fannie Mae ont pu être recyclés dans l’ensemble du système
bancaire mondial, conduisant aux faillites retentissantes de quelques-uns
des plus beaux fleurons de la finance internationale
Ici intervient un vice du système, peu connu et pour cause, puisqu’il tient
à l’existence même des banques centrales, et que le faire apparaître conduit
à les remettre en cause radicalement.
De fait, la banque centrale, en tant que « prêteur en dernier ressort »,
introduit dans l’économie bancaire, et à travers elle, dans l’économie tout
entière, ce que dans la littérature anglo-saxonne on appelle un moral
hazard, que l’on peut traduire par risque comportemental. En d’autres
termes, les banques, du fait même de la couverture que leur offre la banque
centrale, sont conduites à prendre des risques plus élevés qu’elles ne le
feraient si cette couverture n’existait pas et si elles devaient par
conséquent accorder des prêts seulement sur la base d’un capital propre
suffisant.
Ce vice est à l’origine des fameuses « bulles ». Des investissements sont
financés qui ne mériteraient pas de l’être, et des emplois sont créés qui ne
correspondent pas à des besoins réels. Le résultat final, quand la « bulle »
explose, ne peut être que faillites en chaîne et chômage de masse.
Du reste, au moment où la bulle est sur le point d’éclater, la banque
centrale a le choix entre deux solutions, également détestables : soit elle
refinance les banques en difficultés, surtout les plus grandes, qui se sont
fiées à l’adage : too big too fail (trop gros pour faire faillite)
pour continuer leur fuite en avant, mais ce faisant elle nourrit un peu plus
la spéculation ; soit elle refuse et condamne à la faillite la banque prise
au piège (ce fut le cas de Lehman Brothers le 15 septembre 2008) au risque
de déclencher des réactions en chaîne dans tout le système.
D’où la descente aux enfers des banquiers centraux à laquelle on assiste
aujourd'hui. Les taux d’intérêt à court terme étant proches de zéro aux
Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les banques centrales de ces deux pays,
contre toutes les règles élémentaires de gestion, en viennent à acheter
directement aux banques les actifs pourris dont ces dernières ne parviennent
pas à se débarrasser. Ce faisant, ces banques centrales, qui sont aussi des
instituts d’émission, mettent en danger leur propre signature, c’est-à-dire
la valeur de leur propre monnaie, forçant des Etats, déjà surendettés, à
venir à leur secours. L’aveugle vient au secours du paralytique. De mal en
pire !
Face à ces mesures politiciennes qui ne peuvent que retarder la sortie de
crise – ne serait-ce que par l’aggravation inéluctable du poids fiscal –
nous proposons, au moment où s’ouvre un semblant de négociation monétaire
international, de rouvrir le débat sur le rétablissement de l’étalon or. Ce
n’est pas le lieu de rappeler ici les mérites, au demeurant bien connus,
d’un système qui a fait ses preuves pendant plusieurs siècles. On rappellera
seulement l’un d’entre eux, qui est particulièrement actuel : obligées de
couvrir en or à 100 % leur monnaie, les banques centrales ne pourraient plus
introduire dans le système le risque comportemental dont nous parlions plus
haut.
Evoquant le G 20 de Londres lors de sa conférence de presse du 5 février
dernier, le président français a proposé d’instaurer un « régulateur
international » susceptible de fonder un nouvel « ordre mondial ». On peut
imaginer, voire espérer qu’il faisait allusion à l’étalon-or
Si l’on ne parvient pas à refonder le système, « les gens se révolteront et
ils auront raison », a encore averti le président de la République
française. Peut-être faut-il qu’ils se révoltent pour que les gouvernements
soient forcés de trouver la solution.
Philippe Simonnot
1. Par la voix du Général de Gaulle, conférence de presse du 4 février 1965.
2. Michel Aglietta, « La Crise, Comment en est-on arrivé là ? Comment en
sortir ? », Michalon , 2009.
|