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24/6/07 |
Claude Reichman |
Au sommet de Bruxelles, Sarkozy s’est tiré une balle dans le pied Les Vingt-Sept n’ont nullement « sorti l’Europe de sa paralysie », comme le titre la presse. Le sommet de Bruxelles n’est qu’un vague raccommodage où chaque Etat a pu trouver sa petite satisfaction sans que le résultat global présente la moindre cohérence. L’Europe est un bateau ivre et va le rester. Le seul point d’accord entre Européens porte sur la nécessité d’une concurrence « libre et non faussée » et c’est précisément ce point que le sommet a retiré de la liste des « objectifs de l’Union » à l’instante demande de Nicolas Sarkozy. Le président français a justifié sa position en indiquant qu’ « il ne faut pas oublier que 55 % des Français ont voté non ». Or le non de notre pays avait de tout autres raisons. La principale d’entre elles était le refus de l’adhésion turque à l’Union européenne. Et ce n’est pas la concurrence qui a été rejetée mais l’incapacité des gouvernements successifs à adapter la France à cette concurrence, dont nos compatriotes apprécient les bienfaits quand ils peuvent acquérir à bon compte les innombrables objets qu’elle met à leur disposition, mais qu’ils stigmatisent quand ils voient disparaître du sol national les entreprises et les emplois en raison des impôts et des charges dont un pouvoir irresponsable continue à les accabler, les condamnant à se battre contre leurs concurrents les mains liées derrière le dos. Il n’y a plus le moindre élan dans l’Union européenne. Elle n’est qu’un grand marché. Mieux vaut en faire une fois pour toutes le constat et cesser d’échafauder des « politiques communes » qui ne verront jamais le jour parce qu’à vingt-sept il n’y pas la moindre chance qu’on se mette d’accord. On gagnera du temps et de l’argent à se passer des conférences gouvernementales et de tous les « machins » qui ont transformé la gouvernance européenne en Gulliver. Que la Commission européenne et la Cour de justice veillent attentivement à ce que le grand marché européen ne soit pas perturbé par les pratiques anticoncurrentielles des Etats, des lobbys et des entreprises et les vaches seront bien gardées. Si des Etats veulent aller plus loin dans des actions plus ambitieuses - on appelle cela les « coopérations renforcées » - qu’ils le fassent. Il leur sera simplement demandé de respecter dans la réalisation de leurs projets les règles communes de concurrence. Et surtout que l’Europe - une fois pour toutes - décide de mettre un terme à la croissance du nombre de ses membres et ne développe avec la Turquie qu’un « partenariat privilégié », ce à quoi M. Sarkozy s’est engagé lors de sa campagne présidentielle. Dans ces conditions, l’action diplomatique européenne du président français apparaît totalement contreproductive, tant au plan extérieur qu’intérieur. En condamnant une concurrence « libre et non faussée », il a miné le seul véritable lien entre Européens, même si chacun sait que finalement sa prise de position n’aura aucun effet communautaire, les règles de concurrence étant affirmées et solidement étayées par les traités, les directives et la jurisprudence. Mais c’est au plan interne que sa charge anticoncurrentielle aura des effets désastreux. Qu’est donc sa « rupture », sinon la nécessité proclamée de briser les monopoles, les privilèges indus, les intolérables atteintes à la liberté d’entreprendre et de circuler que des décennies de faiblesse étatique ont laissé prospérer dans notre malheureux pays ? Que dira-t-il aux adversaires de l’autonomie des universités qui déjà se mobilisent pour faire échec à leur mise en concurrence, puisque tel est l’objectif de cette réforme, destinée à améliorer leur niveau par une juste compétition entre elles ? Et aux bénéficiaires des régimes spéciaux de retraite qui plombent les finances publiques et donc les capacités compétitives de notre pays face à la concurrence fiscale généralisée qui est la règle en Europe et dans le monde ? Et au monde de la justice, face au regroupement des tribunaux, destiné à améliorer leur efficacité ? Et aux défenseurs de l’hôpital à côté de chez soi ? Et à ceux qui veulent à toute force maintenir des trains express régionaux que personne n’emprunte et qui ruinent la SNCF ? Et l’on pourrait beaucoup allonger la liste. Aucune de ces impératives réformes n’a d’autre raison que la meilleure utilisation de l’argent public dans le contexte concurrentiel international. Que M. Sarkozy a spectaculairement nié à Bruxelles, se tirant ainsi une balle dans le pied. Le voilà donc gravement handicapé dans l’action de rupture qu’il prétendait mener. Dans son récent entretien télévisé sur TF1, M. Sarkozy a insisté sur le fait qu’il n’est pas un intellectuel, mais un pragmatique. Les intellectuels n’ont pas toutes les qualités. Mais eux au moins, ils réfléchissent ! Claude Reichman
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