FMI : DSK a regonflé la grenouille !
Oublions la situation personnelle de DSK et intéressons-nous plutôt à ce
qu'il a fait du FMI. Il est généralement loué pour avoir redynamisé cette
institution et l'avoir placée au cœur de la crise financière mondiale depuis
2008. Cet activisme qui servait sa notoriété personnelle, contrastait avec
la discrétion de ses prédécesseurs français comme Michel Camdessus et
Jacques de Larosière. Ceux-ci avaient réorienté le FMI de sa fonction
ancienne de prêteur aux Etats menaçant ruine vers un nouveau métier de
conseil aux gouvernements.
Avant DSK, le FMI avait donc cessé d'être le pompier chargé d'éteindre
les incendies et de prêter à fonds généralement perdus : s'inspirant des
théories monétaristes, les économistes du FMI convertissaient peu à peu les
dirigeants des pays pauvres à mieux gérer leurs finances en amont, en
particulier grâce à la création de banques centrales indépendantes. Le
décollage des pays pauvres, Afrique incluse, dans les années 1990, dut
beaucoup à ces bons conseils qui firent quasiment disparaître
l'hyperinflation de notre planète.
Naguère contesté dans son rôle de prêteur de dernier recours à des chefs
d'Etat peu fiables (Boris Eltsine, Moubarak), le FMI avait gagné l'estime
générale dans cette nouvelle fonction de conseiller. Au désespoir tout de
même d’un grand nombre des fonctionnaires du FMI, environ dix mille, privés
d'utilité réelle. Kenneth Rogoff, qui fut l'économiste en chef du FMI, avant
l’ère DSK, estime que l'organisation a, en réalité, besoin de trois cents
économistes qualifiés, guère plus.
DSK, au contraire, avait choisi d’en revenir au passé : il s'est ainsi
attaché l'affection du personnel en restaurant le FMI comme vaste
bureaucratie internationale. Crise ou pas crise, et politicien avant tout,
DSK voyait grand. La crise fut une aubaine : DSK essaya de positionner le
FMI en gouvernement économique mondial. Bloqué par les Américains, les
Chinois et les Allemands, il n'y parvint pas mais, grâce à un lobbying
actif, il obtint le renforcement de ses ressources. Sous DSK, le FMI
prospéra. Au bénéfice de qui ? De l'institution et de son directeur général.
Mais contribua-t-il à résoudre, voire à limiter, la crise financière
mondiale ? DSK aurait voulu prêter tous azimuts aux pays en difficulté : à
l'exception de petits pays comme la Hongrie, cela lui fut justement refusé
par le G8 et le G20. Les gouvernements se sont opportunément souvenus que
les prêts du FMI sont rarement remboursés et qu’ils perpétuent donc les
vices et causes de la faillite.
Faute de prêter directement, DSK aura beaucoup encouragé les gouvernements
et les banques centrales à secourir les pays les plus mal gérés, la Grèce en
particulier. Or on savait au FMI depuis des années que les comptes grecs
étaient truqués : regonfler les Etats voyous par des prêts de faveur, ce fut
la politique du FMI dans les années 1980, avec laquelle DSK voulait
bizarrement renouer. Certes, le FMI posait (et pose toujours) des conditions
à ses prêts, mais ces conditions n'étaient jamais respectées (sauf par des
gouvernements très sérieux comme la Corée du Sud et la Turquie) et le FMI
n'avait aucun moyen de les imposer.
Au total, on comprend comment le management du FMI par DSK servait DSK et sa
bureaucratie : on ne voit pas en quoi il conduisait vers un régime financier
mondial plus rationnel. Et DSK, politique oblige, n'osa jamais s'attaquer
aux manipulations du yuan par le gouvernement chinois, bien qu'il s'agisse
là d'un facteur essentiel des déséquilibres mondiaux.
Si Milton Friedman était encore des nôtres, il rappellerait comme il le
faisait déjà dans les années 1970, que le FMI fut créé en 1945 pour empêcher
les dévaluations compétitives des années 1930 : près d'un siècle plus tard,
ce problème n'existe plus et le FMI est avant tout une bureaucratie en quête
désespérée d'une mission. Après DSK, doutons que le FMI soit réduit aux
trois cents économistes souhaités par Rogoff. Mais espérons que cette
grenouille cesse d'enfler.
Guy Sorman
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