www.claudereichman.com |
A la une |
24/7/12 | Guy Sorman |
En Asie, la guerre éclatera-t-elle pour quelques îlots ? Le 21 juillet, des militaires chinois ont occupé un îlot des Paracels. Souvent dans l’histoire, on ne regarde pas au bon endroit et le destin frappe là où on l’attend le moins. Ainsi, l’Asie du Nord Est, Chine, Japon, Taïwan, Vietnam, Corée du Sud, est-elle généralement commentée sous un angle exclusivement économique : on s’extasie des succès, indéniables, de cette région, on se demande si là-bas se trouve le moteur de la croissance mondiale ? Mais vues de près, les nations concernées nous racontent une autre histoire, qui doit moins aux performances économiques qu’aux idéologies rétrogrades, celles du nationalisme et des rancœurs ethniques. Il ne s’agit encore que d’incidents minuscules, portant sur des enjeux d’apparence insignifiante : mais la guerre de 1914 n’est-elle pas née d’un incident insignifiant dans une petite ville des Balkans ? On devrait donc envisager que des lieux dont on ignore souvent le nom, l’île de Senkaku, celles de Dokdo , l’archipel des Paracels (ou Spratley) deviennent des détonateurs ou du moins des révélateurs de conflits militaires possibles entre pays rivaux en Asie. Ce qui contrevient à bien des théories reçues. La première est que le commerce adoucit les mœurs, que l’échange annihile la tentation même du conflit belliqueux. N’est-ce pas l’enseignement de l’Union européenne et l’intuition géniale de Jean Monnet ? Les guerres en Europe ont disparu lorsque leur furent substituées les solidarités concrètes du commerce. En Asie, les solidarités sont indubitables : il devient impossible pour une production donnée de démêler les éléments qui circulent d’une usine à l’autre, en fonction des spécialisations de chacun, de la Chine au Japon, du Japon à la Corée du Sud, vers le Vietnam et les Philippines et retour. Or le gouvernement sud coréen vient de refuser toute esquisse d’une simple coordination militaire avec le Japon, au prétexte que le Japon ne reconnaît pas la souveraineté coréenne sur deux îlots inhabitables, à mi-chemin des deux pays, connus sous le nom de Dokdo en coréen et Takashima en japonais. Chaque gouvernement invoque des traités anciens pour faire valoir ses droits, sans qu’il soit véritablement possible de trancher. Les deux pays refusent un arbitrage qui réglerait le débat en droit : en Corée du Sud, Dokdo est devenu le symbole de la résistance à l’impérialisme japonais. Il se trouve aussi que la Corée du Nord soutient la Corée du Sud dans sa
revendication territoriale, le seul point d’accord entre ces deux frères
ennemis. Objecte-t-on que cet impérialisme à disparu en 1945 ? On
vous rétorque dans les milieux dirigeants de Séoul que les Japonais sont
impérialistes dans l’âme et sur le point de construire un arsenal
nucléaire. En vérité, ce désir nucléaire ne s’exprime à Tokyo que chez
quelques extrêmes nationalistes. Les partis de droite coréens actuellement
au pouvoir envisagent tout de même que la Corée du Sud accède à la capacité
nucléaire puisque tous ses voisins, Chine, Corée du Nord et Japon sont déjà
des puissances nucléaires ou le sont potentiellement. Dokdo/Takashima
pourrait devenir une sorte de Sarajevo oriental. Si l’économie seule déterminait les comportements de ces nations, il leur
serait loisible de pêcher ailleurs et d’exploiter leurs ressources en gaz de
schiste sur la terre ferme. L’affrontement est en vérité symbolique, motivé
par un archaïque sentiment national, avec la volonté toute asiatique de
faire perdre la face à l’autre. Après que des navires chinois eurent
éperonné des chalutiers japonais en 2010, le gouvernement japonais n’a pas
rétorqué, perdant ainsi la face. Cette année, il cherche sa revanche en
proposant de nationaliser Senkaku ( qui appartient à des
propriétaires privés japonais ), que les Chinois considèrent comme partie
intégrante de leur empire. Guy Sorman |