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5/9/11 |
Guy Sorman |
11 septembre : pourquoi Ben Laden a-t-il
visé New York ?
Pourquoi New York ? La ville, comme cible, fut désignée par Sayyid Qutb, le
fondateur spirituel de l'islam politique contemporain. Jeune instituteur
égyptien, invité à New York pour y suivre un stage de formation en 1947, il
fut pris d'une haine indicible pour cette ville. À lire « Sous l'ombre du
Coran » et « Justice sociale en Islam », qui deviendront les évangiles des
islamistes, New York était l'anti-islam comme d'autres furent l'Antéchrist.
Il y souffrit particulièrement du racisme - sans doute en fut-il victime -
et plus encore de la liberté des mœurs des femmes -, leurs bras et jambes
nus, l'été dans les rues de Manhattan, furent vécus par lui comme des
agressions du Diable.
Après que Qutb fut exécuté en prison (en 1966) par le régime de Gamal Abdel
Nasser, ses disciples, dont Oussama Ben Laden, devinrent à leur tour obsédés
par New York. L'objectif était symbolique : détruire les tours jumelles
était à l'évidence une atteinte à la virilité américaine. La sexualité et
ses fantasmes sont essentiels au comportement de l'Islam radical.
L'attentat du 11 septembre n'était donc pas tant un acte militaire que
mystique : Ben Laden n'envisageait évidemment pas de conquérir l'Amérique.
Mais par-delà le sacrifice inspiré par Qutb, le 11.9 s'inscrit aussi dans
une démarche stratégique : le véritable objectif de Ben Laden n'est pas New
York mais La Mecque.
Ben Laden se percevait en nouveau commandeur des croyants, destiné à
restaurer le Califat dans la lignée de Mahomet : il lui fallait, dans cette
démarche, nécessairement prendre la Mecque ainsi que Mahomet y parvint.
Cette victoire exigeait que l'armée saoudienne soit vaincue ou qu'elle se
soumette à Ben Laden : ce qui lui semblait possible si les Etats-Unis
cessaient de soutenir le régime saoudien. Pareil pour la tyrannie égyptienne
que Ben Laden estimait aussi manipulée par les Etats-Unis. Il espérait donc
que l'attentat contre New York frapperait les Américains au point qu'ils se
replient sur eux-mêmes et renoncent à soutenir leurs alliés arabes. Les
peuples arabes, libérés de la tutelle des despotes pro-occidentaux, se
seraient alors ralliés en masse à leur nouveau guide.
Le 9.11 n'était donc pas, dans l'esprit de son auteur, un acte de terrorisme
gratuit ainsi qu'on le qualifie en Occident, mais une guerre symbolique
contre le Mal et stratégique pour le Pouvoir: un mélange de mystique et de
politique, comme l'est le mouvement islamiste tout entier. Mais Ben Laden
s'est évidemment trompé sur la réaction américaine : George W. Bush ne
pouvait pas accepter un second Pearl Harbour sans réagir, et comme après
Pearl Harbour, la réaction ne pouvait être que militaire. Les Etats-Unis
sont une nation martiale, peu portée à la négociation (ce que n'ont toujours
pas compris les Européens qui auraient préféré des opérations de police
plutôt que la guerre).
Ben Laden s'est trompé plus encore sur son propre monde : les Arabes, hors
une poignée de mystiques et de mercenaires, n'ont aucun désir de s'en
retourner au temps du Prophète sous les ordres d'un Ben Laden. On s'en
doutait mais ils nous en ont assené la preuve : les révolutions arabes en
cours ne se réclament pas de l'Islam radical, mais des Droits de l'homme
universel. Le 9.11, Ben Laden et sa mouvance ont gagné une bataille et perdu
la guerre, une guerre qui opposait les musulmans à d'autres musulmans :
l'Occident n'en fut jamais l'enjeu premier, mais l'occidentalisation du
monde, oui.
Guy Sorman
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