Crise : on ne devient raisonnable qu’au bord
du précipice !
L'économiste autrichien, Friedrich Hayek, ennemi juré de Keynes, dans les
années 1930, disait que" les Etats n'apprennent que de leurs propres
erreurs" : les suites de la crise financière de 2008 lui donnent raison.
Au terme de deux à trois ans de politiques dites de relance, inspirées par
la théorie keynésienne et par l'ambition naturelle des gouvernements d'agir
contre la dépression, ne figurent au bilan que des dettes publiques mais peu
de croissance.
Les premiers à en prendre acte ont été les gouvernements européens,
reconvertis au modèle allemand. Paradoxalement grâce à la mauvaise gestion
de la crise, tous les gouvernements de l'Union européenne se sont ralliés à
l'équilibre budgétaire, à la contraction des dépenses publiques, à la
stabilité de la monnaie, à une plus grande flexibilité du marché du travail
et à la "destruction créatrice", terme inventé (en 1942) par Joseph
Schumpeter (professeur à Harvard) pour caractériser l'innovation propre au
capitalisme.
Barack Obama lui-même, l'instigateur de la "stimulation" et de l'endettement
général à partir de 2009, dans son récent discours sur l'état de l'Union (24
janvier), sans totalement se renier, a amorcé sa reconversion en
introduisant la notion de durée en économie : une économie américaine,
dit-il, "construite pour durer". Le même jour, la Banque fédérale américaine
annonçait que ses taux d'intérêt ne changeraient pas pour les trois ans à
venir.
Cette notion de durée est centrale en économie : le temps politique, entre
deux élections, est bref, tandis que le temps nécessaire à l'investisseur,
au créateur d'entreprises, est long. La stabilité des règles à long terme
est donc indispensable à la croissance durable qu'Obama appelle de ses voeux
et à laquelle les Européens sont théoriquement ralliés. Le moment de la
stimulation keynésienne, un régime vitaminé suivi d'un réveil douloureux,
semble terminé et remplacé par la redécouverte des vertus du long terme. Ce
qui rappelle un autre principe, dû à Raymond Barre quand il enseignait à
Paris : "Mieux vaut une mauvaise politique économique qui dure, qu'une
bonne qui ne dure pas". La durée est la clé, plus que les controverses
sur le niveau de l'impôt ou la redistribution : les entrepreneurs s'adaptent
pourvu qu'on leur en donne le temps.
Ce retournement des politiques économiques - comparable à ce que le monde
avait vécu en 1980 après la relance des années 70 - pourrait restaurer une
croissance forte dans le monde occidental d'ici deux à trois ans. Ce qui
exigera de la pédagogie gouvernementale, de la patience populaire et une
forte solidarité sociale : quoi qu'on en dise à droite, le capitalisme en
démocratie exige une redistribution pour que le principe de destruction
créatrice soit toléré. Il sera important aussi de ne pas écouter les ultimes
sirènes keynésiennes, du type Christine Lagarde : elle défend la
bureaucratie dont elle a la charge, mais on ne saurait en attendre une leçon
d'économie.
Comment ancrer la politique économique dans la durée alors que les
dirigeants ne pensent qu'à la prochaine élection ? La contradiction pourrait
être résolue par la Constitution : de même que les Banques centrales
échappent désormais aux manipulations gouvernementales et nous protègent
ainsi contre l'inflation, envisageons l'inscription dans les Constitutions
de l'équilibre budgétaire et du plafonnement de la dépense publique. Le
plafonnement est aussi important que l’équilibre puisque, raisonnant par
l’absurde, 100% de prélèvement fiscal éliminerait le déficit mais tuerait
l’économie.
Quel serait le bon taux de prélèvements publics ? La réponse varie par pays
selon la manière dont sont gérés les services publics : le bon sens et
l’expérience indiquent qu’au-delà de 50% du PIB, les fonds manquent pour
investir dans la croissance du secteur privé alors que le secteur privé, par
sa logique même, crée de la croissance et de l’emploi tandis que le secteur
public est surtout bon dans la redistribution. A cet égard, la France
inquiète puisque Nicolas Sarkozy comme François Hollande s’entendent pour
réduire le déficit, -très bien- mais aussi- ça, c'est moins bien- pour
augmenter les impôts plutôt que contenir les dépenses : Sarkozy préfère la
TVA théoriquement indolore et qui rapporte gros, Hollande penche pour
l’impôt sur le revenu plus égalitariste et ressenti. Mais dans les deux cas,
la réflexion sur le plafonnement des dépenses et ce que serait son impact
positif sur la croissance et l’emploi est passé à la trappe.
Sans doute, devrons-nous attendre le résultat des élections pour que le bon
sens économique se manifeste en France, si véritablement les leçons de la
crise ont été comprises à droite et à gauche.
Par-delà ces péripéties électorales, inévitables et par- delà l’urgence de
l’équilibre, l'Union européenne, parce que la plus affectée par la
récession, montre tout de même la voie : la dette publique contenue à 60% de
la production nationale deviendra bientôt une norme incontournable.
Aux Etats-Unis, on s'étonne qu'aucun candidat Républicain ne propose un
amendement comparable, alors que l'idée en revient à Milton Friedman : sans
doute parce que la Trésorerie américaine n'éprouve pas encore de difficulté
à refinancer sa dette à taux bas. Cette négligence aux Etats-Unis confirme
combien les politiques économiques ne deviennent rationnelles et durables
qu'au bord du précipice.
Guy Sorman
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