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15/10/11 Guy Sorman
       Fukushima a ranimé les valeurs japonaises !

Il est devenu banal de ne commenter les affaires japonaises qu'au travers des lunettes du déclin économique et démographique ou de l'instabilité pathologique de ses gouvernements. On a parlé de la décennie perdue de 1990-2000 et maintenant de la seconde décennie perdue en attendant la troisième et une inéluctable sortie de l'Histoire. Là-dessus, la tragédie du 11 mars 2011, une succession de catastrophes naturelles - le tsunami-, puis scientifiques - Fukushima, et économiques - la récession japonaise s'ajoutant à la récession mondiale, a été ressentie en Occident comme un signe supplémentaire de ce que le Japon avait comme perdu le Mandat du Ciel. Pas si vite !

Car le 11 mars peut aussi être interprété comme l'aube d'une ère nouvelle.
Ce qui, à partir du 11 mars, aura le plus stupéfait le monde extérieur et pas mal de Japonais eux-mêmes, c'est combien les Japonais étaient restés japonais, sous le vernis de la modernité occidentale. L'extrême sérénité manifestée par la nation entière, face à la mort, la discipline, la solidarité, tels furent les commentaires unanimes. Cette fortitude nationale a démenti tous les commentateurs nostalgiques de la civilisation perdue.

Ainsi Masahiko Fujiwara, auteur à succès, vendait-il avant le 11 mars des millions de livres où il déplorait que l'occidentalisation du Japon avait détruit tout esprit communautaire, tout sentiment de solidarité et ce qu'il est convenu sous sa plume, d'appeler le Bushido. Or, le 11 mars 2011, n'est-ce pas cet esprit communautaire, ce sang-froid, ces solidarités, soi-disant anéantis, qui ont caractérisé le comportement national ? Les ouvriers retraités des centrales de Fukushima se sont spontanément portés volontaires pour contenir les dégâts, bravant les risques d'irradiation. Les étudiants de tout le Japon se sont rendus sur les lieux du désastre pour porter secours aux victimes et aux réfugiés. Cette jeunesse que l'on estimait au Japon totalement imbue de son propre individualisme, jusqu'au repli total sur soi des Otaku, s'est révélée spontanément d'esprit communautaire.

On se demande comment s'est perpétuée cette culture de solidarité que semblaient nier les comportements des adolescents ? Ce n'est pas du côté de l'école et des manuels que l'on trouvera une explication. Ce n'est pas non plus en se référant, comme le font Fujiwara et d'autres nationalistes, à une quelconque "ADN nippone" : l'ADN ne véhicule pas la culture. Pour ma part, j'ai trouvé l'explication là où on ne la recherche pas d'ordinaire, dans les mangas de Taniguchi, en particulier Le Journal de mon père : Jiro Taniguchi y narre combien, des années après être devenu un Tokyoïte branché, il s'en revient au village de ses origines, à la recherche de son passé, à l'occasion malheureuse des obsèques de son père : en clair, le lien familial, la transmission familiale, pérennise ce qu'il est convenu d'appeler, pour faire court, les valeurs japonaises.

Celles-ci se sont retrouvées quantifiées par une étude du RIETI, centre de recherche du METI, Ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie, qui révélait en mai 2011 la hiérarchie des valeurs chez les jeunes Japonais : venaient en premier la famille, puis la communauté. Cette hiérarchie enregistrait la permanence d'un sentiment national qu'était venu renforcer la catastrophe du 11 mars. Dans cette même enquête, 58% des jeunes de 20 à 39 ans déclaraient "qu'après le 11 mars, leur conception de la vie avait changé".

Guy Sorman



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