Apprêtons-nous à souffrir !
Les Européens n’ont manifestement pas encore compris ce qui leur arrive. Les
évènements vont rapidement s’en charger. Pour dire les choses en termes
simples, l’Europe est foutue. Non pas seulement dans son organisation en
zone monétaire, mais aussi et surtout en tant que continent économique. Tous
les pays européens sont voués à des restructurations dramatiques qui vont
bouleverser leurs conditions de vie et leur gouvernance politique. Ceux qui
souffriront le moins sont ceux qui n’ont pas complètement oublié qu’il faut
travailler pour vivre et avoir quelque chose à vendre pour pouvoir acheter.
Disons les choses nettement : de tous les pays d’Europe, c’est la France
qui va connaître le plus grand choc. On a beau nous seriner que ses
statistiques économiques ne sont pas plus mauvaises que celles de ses
partenaires, voire même qu’elles sont souvent meilleures, personne ne peut
croire sérieusement à cette fable. Il est vrai qu’il y a des Etats plus
endettés que le nôtre sur le continent, il est vrai aussi que notre économie
a moins reculé que certaines autres, il n’empêche que ces « bons » résultats
ne sont le fruit que du système pervers dans lequel nous nous sommes englués
depuis plus de trente ans : prélèvements, redistribution, déficits,
endettement. Quand on sait que les dépenses de l’Etat sont considérées comme
de la production dans le calcul du PIB, il n’y a pas lieu de s’étonner que
celui-ci affiche une certaine tenue chez nous. Mais c’est à peu près aussi
convaincant que le cas du type qui se vante d’être un grand collectionneur …
d’emmerdements !
Nous vivons à crédit depuis 1974 et aujourd’hui ceux qui nous ont fait
vivre pendant ce tiers de siècle, et qu’on appelle joliment « les marchés »,
c’est-à-dire en fait les épargnants du monde entier, se disent qu’organisés
comme nous sommes, nous ne pourrons jamais les rembourser. Alors malgré le
triple A dont nous gratifient stupidement les agences de notation, nous
allons avoir de plus en plus de mal à trouver les 500 milliards que nous
avons besoin d’emprunter chaque année pour les déverser dans notre tonneau
des Danaïdes national.
Que va-t-il se passer ? Des choses très simples, comme en vivent tous les
ménages surendettés : l’argent va se faire de plus en plus rare, on va
devoir renoncer à beaucoup d’agréments d’abord, puis de nécessités
élémentaires, la famille va éclater sous le choc des difficultés croissantes
et ce sera la misère. Traduite en termes politiques, cette évolution passera
par l’implosion des régimes sociaux et des salaires garantis par l’Etat,
puis par l’effondrement de celui-ci et des structures qui lui sont
associées, comme les communes, les départements et les régions, en passant
par l’Education nationale, l’hôpital public, la Poste, l’Université, la
télévision d’Etat, et toute une série d’organismes dont la plupart des gens
n’apprendront qu’ils vivent de fonds publics qu’en découvrant leurs ruines !
Et pour finir ce sera bien entendu un nouveau régime politique qui
s’installera, dirigé par ceux qui produisent de la richesse, protégeant
l’enfance et la vieillesse et mettant à l’index les parasites, comme cela
s’est toujours fait dans les sociétés humaines dont les efforts et la peine
nous ont permis d’exister aujourd’hui.
Ce film tragique va se dérouler – et se déroule déjà - à une vitesse
d’abord trop lente pour que la majorité des Français puissent en déceler les
évolutions, mais l’accélération des évènements est en train de se produire
et plus personne dès lors, dans notre pays, ne pourra se croire à l’abri de
ce qui sera la deuxième grande révolution de son histoire. Car si celle de
1789 a eu pour moteur essentiel le besoin vital pour la France de briser les
privilèges et les corporatismes qui l’étranglaient, celle des années 2010 va
devoir se faire pour les mêmes raisons, à ceci près que les bénéficiaires de
privilèges ne sont plus les mêmes qu’au 18e siècle et que les corporations
ne sont plus constituées de maîtres artisans mais de groupes humains vivant
de l’argent prélevé aux autres.
Qu’on me permette un simple rappel. J’ai décrit les évènements actuels
dans « La révolution des termites », un ouvrage paru en 1990. Dans la
préface qu’il avait bien voulu donner à ce livre, Raymond Barre écrivait : «
En acceptant le Marché Commun en 1959, la France a rompu avec un
protectionnisme séculaire, mais la centralisation et la réglementation sont
restées vivaces ; pour relever le défi du Marché unique, pour faire face à
la compétition internationale du XXIe siècle, il lui faudra accepter encore
de profondes transformations de mentalités et de comportements. Sachons y
procéder en conduisant le changement plutôt qu’en le subissant
douloureusement. » Trente ans ont passé depuis cet avertissement aussi clair
que précis. Alors, comme nous n’avons pas su changer, nous allons souffrir !
Claude Reichman
Porte-parole de la Révolution bleue.
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