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23/2/09 Jean-Louis Caccomo

Vivre sur le dos des autres : un idéal français !

Même si les 2,6 milliards lâchés par le gouvernement à l’occasion du sommet social sont jugés insuffisants par la gauche, il faudra les financer par la dette, laquelle atteint déjà les limites du supportable puisque la charge de la dette (le paiement des intérêts) est devenu le second poste du budget de l’Etat. Mais comment expliquer cela dans un pays conditionné par l’hystérie antiéconomique ?

Dans leur grande majorité, les Français accordent une faible confiance au marché et à l’entreprise. C’est pratiquement l’inverse dans la plupart des autres pays où la méfiance naturelle se porte envers l’Etat et ses administrations. La constitution américaine a pour fonction de limiter le champ de l’Etat et l’arbitraire du pouvoir politique, la constitution française a vocation à l’étendre.La plupart des jeunes étudiants ont pour objectif principal de passer un concours tandis que ceux qui veulent créer une entreprise pensent à s’expatrier. Et les étudiants qui manifestent dans les rues françaises ou qui occupent les amphis, grandement encouragés par des enseignants qui ne vont pas en cours, n’ont de cesse de s’en prendre à la « logique libérale ».

Il faut bien admettre que les efforts conjugués de l’Education nationale (dont
80 % du corps enseignant votent à gauche) d’un côté, et du monde médiatique (dont 80 % expriment ses sympathies pour l’extrême gauche) de l’autre côté, ont abouti à un phénomène unique dans le monde développé : l’exception culturelle déclinée à tous les modes. Notre pays se complaît dans l’hystérie antiéconomique qu’elle tend à faire passer pour une sensibilité sociale exacerbée.

Cette exception culturelle se bâtit sur une vision archaïque de l’économie en vertu de laquelle la richesse des uns (des individus, des ménages ou des pays) génère forcément la pauvreté des autres. Dans cette conception, l’entreprise est réduite à un lieu d’exploitation du travail, d’exploitation de « l’homme par l’homme ». Ainsi, concurrence et profit ne peuvent être tolérés tandis que l’activité de l’entreprise se doit d’être encadrée par des lois et réglementations précises, sous le regard attentif des « partenaires sociaux » (syndicats) qui vont décider des salaires, des promotions, du temps de travail et de la répartition des bénéfices. L’outil de production est de fait collectivisé dans un pays où la gestion privée est d’emblée suspecte ! Aujourd’hui, on franchit un cran de plus en socialisant la question du partage des bénéfices. Dans un pays qui inscrit le principe de précaution dans sa constitution, on veut bien partager les bénéfices, mais est-on conscient des risques qu’il faut prendre pour espérer générer du bénéfice [1].

Le principe de « l’exception culturelle », revendiqué par la France, permet au gouvernement français par exemple de justifier, notamment auprès de ses partenaires européens, la pratique des subventions culturelles. C’est au nom d’une sorte « d’exception agricole » que la Communauté européenne justifie de son côté l’existence des subventions européennes aux agriculteurs. C’est encore au nom de l’exception médicale que le secteur de la santé est encadré… Et c’est sans doute au nom du génie national que les universités sont subventionnées pour distribuer des diplômes en masse… Quel type « d’exception » va-t-on invoquer pour justifier les subventions aux entreprises publiques de transport ou d’électricité ? Au nom de ce principe, l’exception devient la règle et tout échappe peu à peu à la loi du marché dans un processus de collectivisation rampante qui détruit les soubassements même de notre économie. C’est uniquement pour cette raison que notre pays ne parvient pas à sortir d’une crise structurelle dans laquelle il est embourbé depuis 30 ans.

Une exception, dont la pratique est d’être indéfiniment déclinée, devient de fait une règle, sinon un modèle, qui nous rapproche toujours plus de l’économie administrée. En généralisant ce qui avait vocation à rester exceptionnel, on détruit du même coup l’efficacité et la légitimité de la subvention publique, et plus généralement de l’intervention étatique. Keynes lui-même, sans doute interventionniste mais néanmoins économiste, convenait que l’intervention de l’Etat dans l’économie n’était efficace qu’à la condition d’être limitée dans le temps (conjoncturelle) et dans l’espace (précisément définie). Pourtant, les partisans de l’intervention structurelle et systématique de l’Etat dans l’économie se réfugient aujourd’hui derrière l’invocation d’un « principe de régulation » qui incomberait nécessairement aux pouvoirs publics. Confier une tâche régulatrice à l’Etat en matière économique, cela n’a jamais été une mission régalienne dans le contexte des économies de marché. En effet, cette fonction régulatrice est précisément assumée par le marché lui-même, à condition qu’on veuille bien le laisser fonctionner et en accepter les règles. Or la régulation administrative risque précisément d’en perturber les règles et le fonctionnement.

On nous dit alors que le marché génère tellement d’inégalités qu’il revient à naturellement l’Etat de corriger ses effets, en régulant le régulateur en quelque sorte. La dénonciation des inégalités est un refrain qui fera toujours recette car certaines inégalités sont insupportables et illégitimes. Cependant, l'existence de différences dans les revenus n’est pas un problème en soi. La question est de savoir si ce sont toujours les mêmes qui s'enrichissent et en fonction de quels critères : le travail ou la naissance, l'effort ou le patrimoine, le mérite ou le piston, la compétence ou la corruption, l’échange ou le racket ? En s’intéressant à l’origine des revenus, l'économiste montre l'importance de l'effort, du mérite, des compétences et du talent dans la double détermination du revenu économique et des différences de revenus. La reconnaissance de la diversité nécessaire des talents et des efforts se traduit inéluctablement par une échelle des revenus, laquelle agit comme une incitation à l'effort ou à la formation. Il n’est donc ni raisonnable, ni efficace de vouloir réduire, à tout prix et aveuglément, cette échelle de revenus laquelle fait partie intégrante du fonctionnement normal d’une économie. A force de redistribution aveugle, sous la pression de la rue, et de forum social en forum social, on en arrive à détruire les classes moyennes, à subventionner les bas salaires et à faire fuir les salaires élevés. Le marché du travail s’en trouve totalement déséquilibré et le chômage structurel s’installe.

Finalement, l’économie a plus à voir avec la logique qu’avec l’idéologie. Certains de ses principes les plus fondamentaux n’ont pas été inventés par les économistes mais découverts par les plus brillants d’entre eux. Oublier que l’entreprise est d’abord et avant tout un outil formidable et sans équivalent de création des richesses, c’est condamner notre pays à vivre dans une économie de pénurie qui se généralisera peu à peu. En opposant le social à l’économique, on détruit non seulement l’économie mais avec elle, tout le lien social se délite. Quand tout le monde cherchera à vivre aux dépens de l’Etat, c’est-à-dire sur le dos des autres, nous serons arrivés au bord de la guerre civile.

Jean-Louis Caccomo

[1] Dans la constitution américaine, Jefferson mentionne le droit à la recherche du bonheur. Remarquons qu’il ne se permet pas de proclamer le « droit au bonheur », l’Etat ne pouvant pas promettre ce qu’il ne peut tenir. Mais l’Etat offre les conditions pour rendre possible la recherche du bonheur avec le risque non nul de ne jamais le trouver.

 

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