Quel pays ! Quel désastre ! Mais l’espoir  
	                               
	n’est pas mort !  
	 
	L’actualité me déprime tellement que je ne sais plus de quoi parler. 3,3 
	millions de chômeurs ? La politique de la terre brûlée fiscale ? La 
	polémique sur le droit du sol ? De rencontre en rencontre, je n’entends plus 
	qu’un son de cloche partout : Quel pays ! Quel désastre ! Aujourd’hui, j’ai 
	envie d’une petite plongée dans le passé, dans la France du fond de 
	l’histoire.
	Quand j’écrivais mon livre « 1940, un autre 11 novembre » (éditions 
	Tallandier), en 2007- 2008, j’ai rencontré des personnes très âgées, 
	nonagénaires, qui avaient connu la période de l’Occupation. Elles m’ont 
	raconté leur vie d’un autre temps, d’une autre époque. En 1941, la France 
	occupée, martyrisée, se trouvait au fond du gouffre mais tout espoir était 
	permis tant sa grandeur survivait dans la conscience des Français. Voici le 
	récit d’une personne dont je ne sais si elle est encore en vie, sur la base 
	des notes prises lors de notre rencontre. C’est entièrement authentique, 
	j’en donne ma parole d’honneur. Lisez, elle exprime tout simplement la 
	France. 
	 
	Récit de Marie-Thérèse Froux (épouse Raymond) 1941 
	 
	« Tous les matins, en arrivant en classe, à l’école primaire de 
	Sartrouville, je faisais chanter La Marseillaise à mes élèves. Le 
	directeur de l’école l’a appris et m’a aussitôt convoquée dans son bureau.
	La Marseillaise était alors un chant interdit, maudit, sacrilège aux 
	yeux des autorités d’occupation. 
	 
	– Vous vous rendez compte de ce que vous faites ? Vous voulez anéantir la 
	réputation de l’école ? Vous voulez provoquer une descente des Allemands 
	dans notre établissement ? Vous pensez que nous n’avons pas assez d’ennuis 
	comme ça ? 
	 
	– Je croyais faire mon devoir, monsieur le directeur. 
	 
	J’ai donc mis fin à ce rituel patriotique. 
	 
	En revanche, moi qui suis d’origine lorraine, j’ai enseigné à mes élèves 
	La Marche lorraine : « En passant par la Lorraine avec mes sabots. » 
	Pouvait-on me reprocher de leur faire chanter ce refrain à la fois si 
	enfantin et si lourd de sens ? 
	 
	Oui, car le directeur m’a convoquée une deuxième fois. Alors très en colère, 
	il me traite de folle furieuse et me jure que « tout ça va mal finir pour 
	moi ». 
	 
	Il n’était pas spécialement collaborateur. Il n’était rien du tout. Il avait 
	la frousse, c’est tout, pour sa situation, pour sa sécurité. En revanche, à 
	mon grand étonnement, les parents d’élèves, que je rencontrais à la sortie 
	des classes, ne m’ont jamais fait la moindre remarque. Les paroles de La 
	Marche lorraine, ils ont pourtant bien dû les lire dans les cahiers de 
	leurs chers petits. 
	 
	Et puis un jour d’hiver, alors que mes enfants, mes élèves, pâles comme la 
	mort, avaient froid, faim et peur des bombardements, je leur ai dit : « Il y 
	a un général, à Londres, qui veille sur nous et qui viendra un jour nous 
	délivrer. » 
	 
	C’en était trop sans doute. Je suis convoquée, pendant l’hiver 1941, par le 
	commissaire de Sartrouville. C’est un monsieur trapu, le regard sombre qui 
	porte une petite moustache. Il m’attend debout derrière son bureau, en 
	costume-cravate, l’air solennel, entouré de deux fonctionnaires en uniforme. 
	Je n’ai rien oublié de ses propos. 
	 
	– C’est une honte, mademoiselle ! Des parents vous ont confié leurs enfants 
	pour que vous les éduquiez dans le droit chemin ! Et qu’en faites-vous ? 
	Vous les entraînez dans l’errance et le mensonge. Mademoiselle, cela va vous 
	coûter très cher ! Sachez que le maréchal Pétain sait où est le bien de 
	notre pays ! Vous n’avez pas à critiquer sa parole, surtout en face de 
	jeunes enfants ! 
	 
	La leçon de morale, prononcée sur un ton de rage froide, dure dix bonnes 
	minutes. Puis il fait signe à ses deux fonctionnaires de sortir : « 
	Laissez-nous messieurs ! » 
	 
	Son visage se décrispe soudain. Il s’assied derrière son bureau. À ma grande 
	stupéfaction, une fois les deux policiers sortis, il me demande de m’asseoir 
	à mon tour et, sur un ton adouci, me tient un tout autre langage. 
	 
	– Mademoiselle, ce que vous faites est imprudent et surtout inutile. Je suis 
	avec vous, de tout mon cœur. Mais les provocations ne servent à rien. Une 
	enquête est en cours vous concernant. Je n’ai pas pu l’éviter. Il y apparaît 
	que vous avez participé à la manifestation du 11 novembre 1940… 
	 
	– Mais, c’était il y a plus d’un an. 
	 
	– Oui, mais vous avez été dénoncée et de plus le dossier de l’enquête n’a 
	fait que s’épaissir… Ils savent absolument tout sur vous. Vous allez être 
	arrêtée par la Gestapo d’un jour à l’autre. Je vous ai convoquée pour vous 
	prévenir et vous dire de partir sans attendre. Ne retournez pas chez vous. 
	Prenez le premier train pour rejoindre vos parents à Lyon où vous serez en 
	sécurité, en zone libre. 
	 
	Cet homme s’appelait le commissaire O.., d’origine corse et chef de l’un des 
	principaux réseaux de Résistance. 
	 
	J’ai pris le premier train pour Lyon. Grâce à lui, j’ai échappé à une 
	arrestation de la Gestapo, probablement à la torture et à la déportation. 
	 
	Lui est mort en déportation. 
	 
	Après la Libération, je n’ai pas voulu retourner à l’Éducation nationale : 
	trop de souvenirs et d’émotion. Je me suis engagée avec passion dans 
	l’action en faveur des prisonniers de guerre de retour d’Allemagne. Ayant 
	été révoquée pendant la guerre pour « sympathie gaulliste » et hostilité 
	envers le régime de Vichy, je n’ai eu aucune difficulté à être réintégrée 
	dans la fonction publique en 1948, d’autant plus qu’entre-temps, j’ai réussi 
	ma licence de droit. J’ai choisi un poste de rédacteur au ministère en 
	charge des prisonniers de guerre et c’est dans ces fonctions que j’ai fait 
	carrière. » 
	 
	Maxime Tandonnet  
	
	 
	 
	 
	 
	
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