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12/5/08 Bernard Martoïa

   Titanic : les chaloupes sont prêtes

Dans sa dernière livraison sur les enfers fiscaux, Jack Anderson, le journaliste du magazine Forbes, n’a pas cherché à vilipender notre pays. Au contraire, il a mis en exergue une diminution sensible du taux marginal qui est appliqué aux cinq impôts pris en référence dans son enquête annuelle. Par rapport à l’année dernière, l’indice français a reculé de 26.3%, passant de 193.1 % à 166.8 %. Malgré ce satisfecit accordé, cela laisse toujours la France à la première place des enfers fiscaux.

La progressivité outrancière de l’impôt en France a une raison bien ancrée : « Il faut faire payer les riches ! » Cette antienne est si bien martelée que les riches se sont expatriés et qu’il ne reste plus que la classe moyenne pour subvenir aux besoins des pauvres qui sont toujours plus nombreux dans ce pays avec la pompe aspirante de la couverture médicale universelle.

En dehors de la gauche caviar, qui peut encore s’offrir une semaine de vacances dans une station de ski ? Les Français découvrirent le ski avec les jeux olympiques de Grenoble en 1968. Ce fut une démocratisation de ce sport réservé jusque là à une élite. Entre temps, nos maigres économies ont fondu comme neige au soleil. Même dans une station de bas de gamme, la semaine de vacances pour un couple avec deux enfants se négocie aux alentours de 2000 €. Certains font le sacrifice en prenant un crédit relais dont le taux est de 16 %. C’est une regrettable tendance encouragée par les énarques qui n’ont d’yeux que pour la demande.

La nomenklatura se moque éperdument de la baisse du pouvoir d’achat des Français. Elle vit très bien dans sa bulle. Le cynisme n’est pas propre à la France. Kevin Sharer est le président de la société pharmaceutique Amgen. Le cours de l’action a été divisé par deux. Sharer ne détient pas d’actions ou de stock options de sa société. Sa compensation est de 12.3 millions de dollars par an. Il a déclaré, la main sur le cœur, aux actionnaires marris qu’il souffrait comme eux. Un petit porteur outré a déclaré à l’assemblée générale que le président se rendait tous les week-ends dans une station huppée de ski du Colorado (Aspen) avec le jet de la société. Une motion a été déposée pour supprimer les droits préférentiels de vote des dirigeants.

Et si nous osions faire la même chose en France ? Quel journaliste irrévérencieux osera questionner les déplacements à l’étranger de notre président de la République ? N’existe-il pas un beau château à Brégançon avec une plage magnifique où il pourrait passer ses vacances d’été? Ce domaine appartient à la république. Comme ses prédécesseurs, le président le boude. S’il n’est plus fréquentable par la « jet society » à laquelle appartient notre président, vendons le château de Brégançon tout de suite pour réduire la dette de la France ! Dans son discours du 4 avril 2008 à propos de la réforme de l’État, le président a joué, encore une fois, avec les mots : « Ce ne sont pas les économies qui feront la réforme, c’est la réforme qui fera les économies. » Si l’on comprend notre président, les économies à réaliser sont secondaires par rapport à sa logorrhée. Souvenons-nous que l’orchestre du Titanic a joué jusqu’à la fin…

Cette tragédie hors du commun passionne toujours les esprits. Dans un nouveau livre paru le 15 avril 2008, William Broad reprend une thèse bien connue : la fragilité des rivets utilisés pour la construction du Titanic. Celle-ci est corroborée à présent par des examens en laboratoire sur des échantillons prélevés à quatre mille mètres de profondeur. Il y en aurait une traînée au fond de la mer !

Au cours d’un dîner donné en 1907 par Lord James Pirrie, de la firme navale Harland & Wolff, en l’honneur de Bruce Ismay, qui était le directeur de la White Star Line, les deux partenaires évoquèrent avec inquiétude le lancement prochain du Lusitania par la Cunard Line qui était leur grand concurrent sur la traversée de l’Atlantique. Pour contrer cette offensive, et avec l’appui décisif de John Pierpont Morgan qui était le magnat de la finance, les deux hommes envisagèrent la construction simultanée de l’Olympic et du Titanic qui seraient plus grands et plus luxueux que le Lusitania. Pressé par les délais de livraison, le chantier naval de Belfast eut recours à des sous-traitants. La forte concentration de scories dans l’acier fut à l’origine du drame. Au contact de l’iceberg, les boulons sautèrent comme des bouchons de champagne et la coque s’éventra sur une longueur effroyable d’une soixantaine de mètres !

Ce drame est exemplaire pour bien de raisons. Bruce Ismay, le directeur de la White Star Line, se vantait auprès de quelques passagers illustres, qui firent avec lui ce voyage nuptial, que son bateau était insubmersible. La raison avancée était la suivante. La coque du navire était divisée en seize compartiments dont l’étanchéité était assurée, pour la première fois de l’histoire, par des systèmes de fermeture automatique. Les ingénieurs misaient que le navire pouvait supporter une grave voie d’eau, mais au-delà de quatre compartiments touchés, ils pensaient que le navire était condamné. C’est exactement ce qui se produisit. Avec six compartiments touchés, le Titanic sombra en deux heures.

La maîtrise des ingénieurs de la firme navale Harland & Wolff donne à réfléchir. La France est l’équivalent d’un Titanic divisé en une kyrielle de compartiments très poreux. Lorsqu’une caisse de retraite fait faillite (celle par exemple des cheminots où il y a un actif pour quatre retraités) sa gestion est aussitôt refilée à une autre, puis quand cette dernière prend trop d’eau, elle est refourguée au régime général. Il n’y a donc aucun compartiment étanche selon la volonté des énarques qui veulent noyer à tout prix leur responsabilité individuelle. Pour enrayer la voie d’eau, le trésor public emprunte beaucoup sur les marchés financiers et il fait miroiter aux épargnants français les avantages fiscaux de l’assurance-vie. L’État vit à crédit à partir de la Toussaint mais le jour approche où il ne trouvera plus de prêteurs…

En avril, la Commission de Bruxelles a lancé un avertissement à la France en raison de la gravité de sa voie d’eau. Lui infliger une amende au moment où elle s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne ? Chiche ! Ce serait un bien pour elle-même et pour ses partenaires de l’euro, que de lui imposer la rigueur (équilibre budgétaire) à laquelle elle s’est soustraite depuis 1974 avec l’élection d’un énarque à la présidence. Pour l’instant, la nomenklatura ne s’intéresse qu’à préserver son train de vie fastueux. Elle a toujours réussi à circonvenir la Commission. Le bras de fer est-il vraiment engagé ? S’agit-il d’une énième remontrance qui ne portera pas à conséquence ? Mais n’attendons pas qu’un analyste d’une agence de notation comme Standard & Poors fasse perdre à la France son triple AAA car cela aurait des conséquences plus regrettables que la tragédie du Titanic. Joseph Staline, qui était un grand spécialiste de la question, notait cyniquement : « Une mort est un drame mais un million de vies détruites n’est plus que de la statistique… »

Lord Ismay fut le grand responsable de la tragédie du Titanic. Il avait donné l’ordre au capitaine Smith de ne pas ralentir la vitesse du navire malgré la présence d’icebergs détectés par les autres navires dans la zone en coin à la hauteur du 41° parallèle, laquelle était connue de tous les marins. C’est une latitude très méridionale mais qui s’explique par le courant froid du Labrador. Le record de la traversée et la gloire que Lord Ismay devait en retirer furent plus forts que les mises en garde du chevronné capitaine qui était malheureusement sous ses ordres pour la traversée nuptiale. Quand le navire sombra et que des centaines de malheureux se noyaient dans les eaux glaciales, Lord Ismay embarqua en catimini sur l’une des chaloupes. Je parie qu’il en sera de même lorsque la France fera faillite. Les responsables de la tragédie s’échapperont sur des chaloupes qu’ils se sont réservé. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement.

Bernard Martoïa

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