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Le tribunal administratif de Pau dynamite la fiscalité française

24/5/03 Claude Reichman
Où va-t-on si les tribunaux français se mettent à appliquer la loi ? Où va-t-on ? A l'établissement dans les faits de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.
Après le tribunal de grande instance de Nîmes, qui vient de confirmer la liberté de la protection sociale dans notre pays, voilà que le tribunal administratif de Pau assène un coup décisif à l'impôt progressif sur le revenu et à l'impôt sur la fortune.
A Pau, il s'agissait en apparence d'une banale affaire de taxe foncière sur les propriétés bâties. Le contribuable concerné se plaignait de n'avoir pu contester son imposition au motif qu'un article du code général des impôts réserve cette faculté aux réclamants possédant ou tenant en location plus du dixième du nombre total des locaux de la commune. Or pour sanctionner cette inégalité manifeste entre contribuables, le tribunal administratif a fait usage de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Rappelons que ce texte a été signé à Rome en 1950, que s'y sont ajoutés divers protocoles au cours des années suivantes et que la France n'a ratifié ces dispositions que le 3 mai 1974. Rappelons aussi qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de la République française, " les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ".
Or que dit l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ? Que
" la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur …la fortune … ou toute autre situation ". Le tribunal administratif de Pau a donc considéré " que les dispositions sus retranscrites de l'article 1503 du code général des impôts sont contraires à l'article 14 précité de la Convention européenne en tant qu'elles interdisent à un contribuable communal de contester les éléments qui serviront de base à son imposition par le motif que ce contribuable n'est pas propriétaire ou locataire de plus du dixième du nombre total des locaux de la commune ou du secteur de commune intéressé, créant ainsi une distinction inconventionnelle entre les différents contribuables communaux, fondée sur la localisation du patrimoine ou, pire encore, sur la situation patrimoniale elle-même, alors que ces contribuables sont placés dans une situation fiscale identique ".

" Nul ne peut être privé de sa propriété "

De ce fait le tribunal a accordé au contribuable concerné décharge de la taxe foncière contestée. La somme en jeu était modeste : 3189 francs. Mais c'est en réalité de centaines de milliards de francs qu'il s'agit. Ceux que rapportent l'impôt sur le revenu et, à un bien moindre degré, l'impôt sur la fortune. Car on ne peut faire application de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme sans considérer que l'impôt progressif sur le revenu est précisément fondé sur une distinction de fortune, les contribuable gagnant le plus devant donner au fisc une proportion plus importante de leurs revenus, et que par sa nature même, qu'établit incontestablement son appellation, l'impôt sur la fortune ne repose lui aussi que sur une distinction de fortune ! Autrement dit ces deux impôts sont contraires à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et tout contribuable demandant à un tribunal d'en être déchargé doit obtenir satisfaction.
On pourrait ajouter que ces deux impôts, qui sont gravement attentatoires au droit de propriété, sont également contraires à plusieurs autres dispositions conventionnelles ou constitutionnelles. Citons notamment l'article 1 du protocole de Paris, annexé à la Convention européenne : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. " Citons également ces articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui, figurant dans le préambule de notre Constitution, ont par définition valeur constitutionnelle :
" Article 1er  Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
" Article 2  Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
" Article 13  Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
" Article 17  La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. "
Les textes européens n'ont fait, somme toute, que reprendre les grands principes édictés par cette Déclaration de 1789. Mais il a fallu ce détour pour les faire appliquer, alors même que tout magistrat français a le devoir d'appliquer la Constitution, son préambule et donc la Déclaration de 1789. Quoi qu'il en soit la révolution fiscale est en marche. Il aura fallu attendre 214 ans pour y arriver !

Claude Reichman

Le texte du jugement du tribunal administratif de Pau peut être consulté sur le site www.claudereichman.com

On peut également se référer, pour une appréciation lucide, objective et pénétrante de l'indispensable réforme de notre justice, au remarquable ouvrage que viennent de publier, chez Plon, Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, et le célèbre avocat Paul Lombard. Intitulé " Le procès de la justice ", ce livre propose des solutions qui savent allier l'audace au bon sens et à la largeur de vue et constituent, à cet égard, un socle sur lequel devra s'appuyer toute véritable réforme de l'institution judiciaire.

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