Urgences : une maltraitance
L'engorgement des lits aigus par les malades qui ne devraient plus y
être, mais y sont toujours, ne permet pas d'y accueillir les urgences à
hospitaliser. « Une situation d'embolie » J. Chirac, février 2002.) Et qui
dure depuis quinze ans, s'accentuant tous les jours. C'était déjà comme ça
avant les 35 heures, qui n'ont rien arrangé.
Dès lors, deux solutions, soit les « caser » dans des services qui
disposent de quelques lits, mais qui sont souvent inadéquats, par exemple en
chirurgie pour des malades médicaux. Et personne dans ces services n'accepte
de les prendre en charge, faute de médecins et d'infirmières, au point qu'il
faut organiser des tours de garde pour que des internes d'autres services de
la spécialité adéquate viennent s'en occuper, en grognant contre ce surcroît
de travail alors qu'ils sont déjà débordés dans leur propre service. Il faut
le dire, dans ce système, les malades perdent des chances. Quelques uns tous
les jours. Multipliés par 365.
Deuxième solution, transférer le malade dans un autre hôpital, public ou
privé, proche ou éloigné, en fonction des disponibilités de places, qu'aucun
service centralisé ne se donne la peine de recenser en temps réel et qu'il
faut découvrir en multipliant les appels téléphoniques, parfois une
vingtaine dans un, deux, trois, quatre hôpitaux et cliniques. Et la place
sera d'autant plus difficile à trouver que le malade est plus âgé et atteint
d'une affection plus chronique, qui laisse prévoir une longue
hospitalisation.
Dès lors, plutôt que de s'occuper du flux des urgences qui ne cessent de
se présenter et attendront donc des heures, médecins et infirmières du
service d'urgences vont passer des dizaines et des dizaines de minutes
pendus au téléphone, ressassant plusieurs fois l'histoire de ce malheureux
dont personne ne veut, pour le caser dans un autre hôpital qui, parfois, au
dernier moment, le refusera, en constatant qu'il est plus âgé et plus grave
qu'on ne l'avait dit au téléphone.
Car pour caser le malade, il faut mentir. Enjoliver son histoire. Le
rajeunir. Une absolue et humiliante maltraitance. Une histoire de tous les
jours. Et voilà ces malades qui tournent en ambulance, brinqueballés d'un
hôpital l'autre, jusqu'à ce qu'enfin une place se dégage. Ces histoires
d'urgences lamentables, tous les lecteurs les connaissent et quelques uns
les ont vécues. Ou les vivront.
Car ça continue, aggravé par les 35 heures, parce que 15 % de lits de
médecine sont fermés en année pleine et un tiers l'été, par exemple 34 % à
Beaujon. Et voilà tous les jours (histoires vraies) les malades parisiens
satellisés d'Argenteuil à St Denis, de Paris à Thiais, Brunoy, Marne la
Vallée et même Dreux, ou comme à St Antoine, hospitalisés à 11 dans une
salle commune, sur des bâts flancs ou des civières, serrés, hommes et
femmes, les uns contre les autres. À 1000 euros/jour ! Ce spectacle, offert
par l'AP HP, se donne tous les soirs. Faute de lits, ils passent dans le
service « porte », en box ou en chambres, et devraient n'y rester que
quelques heures, mais y stagnent plusieurs jours, parfois plusieurs
semaines. Et c'est pareil à Nantes, 6 heures d'attente en moyenne, à Nîmes,
où il faut transférer des malades par hélico à Montpellier, quand d'autres
arrivent de Montélimar, toujours par hélico, parce qu'il n'y a plus de place
à Lyon. Le chef de service des urgences de Gonesse démissionne, celui de
Nîmes menace de fermer les urgences, 29 chefs de service de St-Malo
démissionnent en bloc, les pédiatres de Necker, le plus grand hôpital
d'enfants de France, annoncent qu'ils n'ont plus les moyens de remplir leur
mission, les hôpitaux de Montreuil et Pontoise ne pourront accueillir les
urgences fin juillet, faute de médecins, les chefs de service d'urgences de
Pontoise et Gonesse tirent violemment la sonnette d'alarme : « La santé des
malades est enjeu, on leur fait courir des risques graves. »
Pr Philippe Even, Pr Bernard Debré
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