Vendons à n’importe quel prix,
prêtons à n’importe quel taux !
« Ceux qui ne peuvent pas se rappeler le passé, sont condamnés
à le répéter. » George Santayana
Le président Sarkozy voudrait que les usines de montage de l’industrie
automobile ne débauchent pas alors que la demande s’effondre. Si l’on suit
son injonction, le parking de Renault va rapidement être plein puisque les
commandes se font au compte-gouttes. Il faut absolument faire quelque chose,
même n’importe quoi !
Parmi les chaînes de montage, celle du modèle Laguna est la plus touchée
par la crise. Ce modèle haut de gamme de 25.000 € ne se vend plus. Que faire
? Le secrétaire général de l’Elysée suggère au président de la République de
subventionner l’achat de Lagunas par les Français (dans ce scénario, la
Commission européenne est écartée). Le gouvernement se substitue à la
direction défaillante de Renault qui n’a pas réussi à vendre son modèle haut
de gamme aux Français. Il propose donc de construire un peu partout en
France des usines de montage de la Laguna et de les vendre à moitié prix
(12.500 €). Dans un premier temps, les ménages, n’en croyant pas leurs yeux,
se précipitent pour en acheter une. Même les classes moyennes ne résistent
pas à la tentation.
Une année plus tard, les ventes de la Laguna périclitent. Que faire ? Les
énarques au cabinet du ministère de l’industrie suggèrent de baisser encore
de moitié le prix de la Laguna. A 6.250 €, les classes populaires ouvrent
leur porte -monnaie et se précipitent, à leur tour, pour en acheter une.
L’économie du pays est de plus en plus dépendante de la production de ce
modèle. Qu’importe ! Renault a doublé ses effectifs depuis qu’elle a été
efficacement reprise en main par des technocrates. Même si l’endettement de
la France a sérieusement augmenté, les Keynésiens se réjouissent du plein
emploi dans l’industrie. Renault fait vivre à présent plus d’un million
d’individus qui travaillent chez des équipementiers.
Deux ans plus tard, les ventes de la Laguna connaissent à nouveau un trou
d’air. Les Français saturent. On s’inquiète dans les cabinets ministériels
et les officines keynésiennes. Que faire des cinq
cent mille ouvriers des chaînes de montage menacés de chômage technique ? Le
facteur Besancenot est entré au gouvernement (inquiet pour sa réélection, le
président de la République a réalisé qu’il valait mieux l’avoir dans son
équipe, qui ressemble de plus en plus au radeau de la Méduse). En charge du
dossier, le facteur propose, à son tour, de baisser de moitié le prix de la
Laguna. A 3.125 €, le modèle attire une nouvelle clientèle : tous les
bénéficiaires de l’Etat providence. Les ventes explosent ! Même les classes
moyennes en achètent un deuxième exemplaire pour leurs enfants étudiants.
Trois ans plus tard, même phénomène, les ventes connaissent un plateau avant
de décliner. Que faire ? Les énarques s’inquiètent, mais ils sont débordés à
gauche par le facteur Besancenot qui a pris goût au pouvoir. Il décide de
baisser encore de moitié le prix de la Laguna. A 1562,5 €, il y a une brève
reprise des ventes. Les ménages aisés ne peuvent plus les mettre dans leur
garage. Les Lagunas des enfants étudiants s’entassent sur les pelouses. On
assiste à quelques débordements. Des enfants de riches ménages se livrent au
jeu des voitures tamponneuses. Ce n’est après tout que de la tôle froissée.
Avec un prix si bas pourquoi se priver de ce plaisir ? En revanche, on
s’alarme à Bercy. L’endettement de la France a atteint un seuil critique.
Quatre ans plus tard, la fausse droite a été balayée par la vraie gauche aux
élections. Il n’est pas question d’arrêter les chaînes de montage de la
Laguna. Le prix est encore divisé par deux. A 781,25 €, elle attire une
nouvelle catégorie : les immigrés clandestins. Avec la démagogie qui bat son
plein, on délivre gratuitement et sans examen des permis de conduire pour
leur permettre d’aller travailler au noir. De spectaculaires accidents de la
circulation émaillent parfois l’actualité, mais les ventes de la Laguna sont
en chute libre. Même quand le facteur Besancenot leur offre une voiture
gratuite s’ils en achètent une nouvelle, les Français regimbent. La partie
est finie. Les usines ferment. Les syndicats sont révoltés contre le
gouvernement anticapitaliste qui les a trahis. L’Etat est en faillite.
L’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé sa dette à B- . Les ménages
ne peuvent plus faire un plein d’essence. Les Lagunas rouillent dans les
jardins. L’utopie keynésienne a vécu en France.
Et maintenant le même scénario en pire avec les subprimes
Supposons qu’un gouvernement d’obédience keynésienne de l’autre côté de
l’Atlantique décide que la richesse de la nation dépende de la facilité
d’accès au crédit accordée aux ménages des tranches inférieures de l’impôt
sur le revenu. Pour réaliser cet objectif, il va se doter de structures
idoines : Fed (banque centrale), Fannie Mae, Freddie Mac, Federal
Home Loan Banks, etc. etc. Toutes ces structures sont évidemment des
monopoles publics qui se portent garants en dernier ressort de la chaîne du
crédit : la Fed pour les banques d’investissement, Fannie Mae
pour les prêts hypothécaires à haut risque accordés à des ménages
insolvables, F.D.I.C pour la garantie des dépôts des particuliers.
Dans ce schéma, l’aléa moral disparaît. Il n’y a plus de fusible pour
arrêter la spéculation.
Pour le plus grand plaisir de certains, les banques abaissent les
collatéraux exigés pour l’acquisition d’une maison et offrent à une
clientèle ciblée selon des critères de discrimination positive, pour faire
plaisir à l’idéologie du moment du « politiquement correct », des prêts à un
taux inférieur à celui du marché. Bien entendu, les ménages concernés se
précipitent à la banque pour faire une demande de prêt.
Un an plus tard, la construction de maisons connaît un plateau. Les
syndicats de maçons s’inquiètent, mais aussi le patronat, les agences
immobilières et les banquiers qui ont misé sur la hausse de l’immobilier à
travers des outils financiers sophistiqués mis au point par des
mathématiciens. Personne, au conseil d’administration de la banque, ne
comprend leur fonctionnement et personne ne sait évaluer les risques qu’ils
représentent. Ce n’est pas grave puisque la banque a enregistré un profit
record au dernier trimestre avec l’effet de levier.
Il faut donc encourager la construction immobilière. Le gouverneur de la Fed
s’exécute. Il abaisse les taux d’intérêt pour que d’autres catégories de
ménages entrent sur le marché immobilier. A un taux de 3 %, des ménages
riches se font construire une résidence secondaire au bord de la mer. A 2%,
les classes moyennes veulent les imiter. Elles n’ont pas les moyens de
s’acheter une résidence secondaire, mais elles peuvent se permettre, avec
l’argent que déverse tous les jours les hélicoptères de la Fed, de se
faire construire une piscine dans leur jardin.
Deux ans plus tard, la construction connaît à nouveau à un plateau. Des
politiciens au Congrès s’inquiètent de perdre leur siège si la conjoncture
s’aggrave. Il faut donner un coup de pouce. Le crédit est abaissé à 1 %. Les
ménages se ruent vers les banques. On assiste, un peu partout dans le pays,
à des scènes pitoyables. Une guichetière, à l’ouverture de la banque
Wachovia à Chicago, est morte piétinée par des clients. C’est la panique
devant Bank of America à Los Angeles. Une équipe de télévision,
présente sur les lieux, filme des clients qui s’étripent entre eux pour être
le premier servi au guichet. Des femmes hurlent. Finalement, la police
arrive. Des coups de feu sont tirés. Les policiers battent en retraite. Le
gouverneur de Californie décide de faire appel à la garde nationale pour
rétablir l’ordre.
Le lendemain, dès l’ouverture de la séance à Wall Street, l’action
Bank of America gagne 7 %. Quand il y a du sang, les requins deviennent
fous. Bank of America tire tout le marché à la hausse. Ce sera une
très bonne année en Bourse. L’indice Dow Jones dépasse, pour la première
fois, la barre des 14.000 points.
Trois ans plus tard, les ménages américains ont, en moyenne, cinq cartes de
crédit. Une pour chaque jour de la semaine. Le lundi, avec la carte de
Washington Mutual, on fait un plein de canettes de bières chez Wall
Mart pour regarder la télévision pendant la semaine. Le mardi, on fait
le plein d’essence du Hummvee (140 litres) avec la carte
Mastercard, le mercredi on se repose avec les enfants à la maison, le
jeudi soir on dîne en ville avec madame et on paie avec la carte American
Express qui permet un étalement dans le temps des remboursements, le
vendredi, après le bureau, on va siroter quelques bières dans un pub,
flirter avec des collègues de bureau et on paie avec Visa. Enfin,
samedi, c’est le jour de shopping en famille et on utilise la carte de
madame pour payer.
Pour une raison inexpliquée, les ménages n’augmentent plus leurs dépenses.
Le président décide d’accorder des ristournes d’impôt et le gouverneur de la
Fed abaisse le taux directeur à 0 %. Des immigrés clandestins se
ruent pour acheter des fusils à pompe chez les armuriers. Les ventes d’armes
à feu prennent temporairement le relais d’autres formes de consommation.
Puis, sans raison apparente, l’économie s’effondre comme un château de
cartes.
Bank of America, qui a connu, deux années auparavant, une émeute, est
à présent vide. Il n’y a plus de clients aux guichets. Les vigiles sont les
premiers licenciés, puis les guichetiers, ensuite les gens du back office.
Il se murmure que la banque a été empoisonnée. Elle n’a pas digéré
l’absorption de Merril Lynch. Des docteurs appelés à son chevet
disent qu’elle va bientôt mourir. Le titre qui cotait 50 $ en 2007, ne vaut
plus que 3,79 $ à la séance du vendredi 20 février 2009. Il n’y a pas de
ruée pour retirer son argent comme cela s’est produit, mainte fois, pendant
la Grande Dépression. Les clients n’ont pas d’argent ; ils n’ont que des
dettes.
L’Amérique a une overdose de crédit. Lors des élections, on assiste à un
raz-de-marée démocrate, une chose que l’on n’a pas vue depuis soixante-seize
ans avec l’élection de Franklin Delano Roosevelt. L’utopie keynésienne bat
son plein. Le Trésor a dû recruter du personnel de nuit pour faire tourner
la planche à billet. Même les équipages d’hélicoptères de la Fed sont
exténués. On a dû réorganiser les tournées pour faire face au défi. Pensez à
ces huit cent milliards de dollars dont ils doivent arroser tout le pays !
Des étrangers s’inquiètent de la dégradation du budget américain : un
déficit de 10 % pour l’année en cours. Ils sont sermonnés par le grand
argentier qui leur dit qu’il n’y a rien d’autre à faire pour relancer la
locomotive américaine. Sans elle, le train s’arrête. « Soyez content que
l’on vous achète encore des produits. Nous ne sommes pas protectionnistes.
Regardez, nous continuons à boire de la Budweiser qui a été rachetée
par ces fumiers d’Hollandais. Alors circulez, il n’y a rien à voir ici. »
Le nouveau président n’arrivera pas à réamorcer la pompe keynésienne. Les
banques continuent à faire faillite, les ménages réduisent drastiquement
leurs dépenses, le chômage explose et les rentrées fiscales sont en chute
libre. Des Etats sont en faillite. Comment payer demain les vingt mille
fonctionnaires ? se demande le gouverneur de la Californie, Arnold
Schwarzenegger.
De Charybde en Scylla
Dans les deux scenarii évoqués ci-dessus, l’issue est toujours la même :
c’est la faillite du modèle keynésien basé sur l’emprunt. Mais les
conséquences ne sont pas les mêmes. L’idée d’encourager les ménages à
s’endetter à travers des cartes de crédit et des emprunts hypothécaires est
autrement plus dangereuse que celle de les pousser à acheter des Lagunas.
Dans le deuxième scénario, tout le monde est perdant : les créditeurs et les
emprunteurs. Dans le premier cas, les ménages se retrouvent avec des
voitures dans leur jardin mais ils ont conservé leur maison. C’est un
inconvénient moindre que de n’avoir plus de toit lorsque le banquier donne
son feu vert au shérif pour ordonner l’évacuation de la maison que vous
n’êtes plus capable de lui rembourser.
Le crédit doit être organisé dans un marché libre (non pas administré par l’Etat)
et dans ce cas il sera presque toujours offert intelligemment, en priorité
aux producteurs et non pas aux consommateurs. Cela évite que de mauvais
investissements soient réalisés. Les technocrates prennent de grands risques
avec l’argent des contribuables, ce que ne font pas les investisseurs privés
avec leur propre argent. C’est inhérent à la nature humaine.
Les Keynésiens se sont fait les apôtres
du crédit facile. Le marxisme fut la plus grande escroquerie intellectuelle
du dix-neuvième siècle, le keynésianisme du vingtième siècle. Ne serait-il
pas temps de revenir à plus de sagesse avant l’effondrement programmé de
plusieurs Etats à travers le monde ? La réponse de Keynes à ses détracteurs
était toujours la même : «Dans cent ans nous serons tous morts. » Cette
déconsidération de l’avenir est grave pour les générations qui vont hériter
d’une dette colossale. Il faut revenir aux fondamentaux de l’économie
classique anglaise et de l’école autrichienne. Mais pour cela, il faudrait
d’autres élites que celles que nous avons en France. C’est bien là tout le
problème…
Bernard Martoïa
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