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23/2/09 Bernard Martoïa
       Vendons à n’importe quel prix,         prêtons à n’importe quel taux !

« Ceux qui ne peuvent pas se rappeler le passé, sont condamnés à le répéter. » George Santayana

Le président Sarkozy voudrait que les usines de montage de l’industrie automobile ne débauchent pas alors que la demande s’effondre. Si l’on suit son injonction, le parking de Renault va rapidement être plein puisque les commandes se font au compte-gouttes. Il faut absolument faire quelque chose, même n’importe quoi !

Parmi les chaînes de montage, celle du modèle Laguna est la plus touchée par la crise. Ce modèle haut de gamme de 25.000 € ne se vend plus. Que faire ? Le secrétaire général de l’Elysée suggère au président de la République de subventionner l’achat de Lagunas par les Français (dans ce scénario, la Commission européenne est écartée). Le gouvernement se substitue à la direction défaillante de Renault qui n’a pas réussi à vendre son modèle haut de gamme aux Français. Il propose donc de construire un peu partout en France des usines de montage de la Laguna et de les vendre à moitié prix (12.500 €). Dans un premier temps, les ménages, n’en croyant pas leurs yeux, se précipitent pour en acheter une. Même les classes moyennes ne résistent pas à la tentation.

Une année plus tard, les ventes de la Laguna périclitent. Que faire ? Les énarques au cabinet du ministère de l’industrie suggèrent de baisser encore de moitié le prix de la Laguna. A 6.250 €, les classes populaires ouvrent leur porte -monnaie et se précipitent, à leur tour, pour en acheter une. L’économie du pays est de plus en plus dépendante de la production de ce modèle. Qu’importe ! Renault a doublé ses effectifs depuis qu’elle a été efficacement reprise en main par des technocrates. Même si l’endettement de la France a sérieusement augmenté, les Keynésiens se réjouissent du plein emploi dans l’industrie. Renault fait vivre à présent plus d’un million d’individus qui travaillent chez des équipementiers.

Deux ans plus tard, les ventes de la Laguna connaissent à nouveau un trou d’air. Les Français saturent. On s’inquiète dans les cabinets ministériels et les officines keynésiennes. Que faire des cinq cent mille ouvriers des chaînes de montage menacés de chômage technique ? Le facteur Besancenot est entré au gouvernement (inquiet pour sa réélection, le président de la République a réalisé qu’il valait mieux l’avoir dans son équipe, qui ressemble de plus en plus au radeau de la Méduse). En charge du dossier, le facteur propose, à son tour, de baisser de moitié le prix de la Laguna. A 3.125 €, le modèle attire une nouvelle clientèle : tous les bénéficiaires de l’Etat providence. Les ventes explosent ! Même les classes moyennes en achètent un deuxième exemplaire pour leurs enfants étudiants.

Trois ans plus tard, même phénomène, les ventes connaissent un plateau avant de décliner. Que faire ? Les énarques s’inquiètent, mais ils sont débordés à gauche par le facteur Besancenot qui a pris goût au pouvoir. Il décide de baisser encore de moitié le prix de la Laguna. A 1562,5 €, il y a une brève reprise des ventes. Les ménages aisés ne peuvent plus les mettre dans leur garage. Les Lagunas des enfants étudiants s’entassent sur les pelouses. On assiste à quelques débordements. Des enfants de riches ménages se livrent au jeu des voitures tamponneuses. Ce n’est après tout que de la tôle froissée. Avec un prix si bas pourquoi se priver de ce plaisir ? En revanche, on s’alarme à Bercy. L’endettement de la France a atteint un seuil critique.

Quatre ans plus tard, la fausse droite a été balayée par la vraie gauche aux élections. Il n’est pas question d’arrêter les chaînes de montage de la Laguna. Le prix est encore divisé par deux. A 781,25 €, elle attire une nouvelle catégorie : les immigrés clandestins. Avec la démagogie qui bat son plein, on délivre gratuitement et sans examen des permis de conduire pour leur permettre d’aller travailler au noir. De spectaculaires accidents de la circulation émaillent parfois l’actualité, mais les ventes de la Laguna sont en chute libre. Même quand le facteur Besancenot leur offre une voiture gratuite s’ils en achètent une nouvelle, les Français regimbent. La partie est finie. Les usines ferment. Les syndicats sont révoltés contre le gouvernement anticapitaliste qui les a trahis. L’Etat est en faillite. L’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé sa dette à B- . Les ménages ne peuvent plus faire un plein d’essence. Les Lagunas rouillent dans les jardins. L’utopie keynésienne a vécu en France.

Et maintenant le même scénario en pire avec les subprimes

Supposons qu’un gouvernement d’obédience keynésienne de l’autre côté de l’Atlantique décide que la richesse de la nation dépende de la facilité d’accès au crédit accordée aux ménages des tranches inférieures de l’impôt sur le revenu. Pour réaliser cet objectif, il va se doter de structures idoines : Fed (banque centrale), Fannie Mae, Freddie Mac, Federal Home Loan Banks, etc. etc. Toutes ces structures sont évidemment des monopoles publics qui se portent garants en dernier ressort de la chaîne du crédit : la Fed pour les banques d’investissement, Fannie Mae pour les prêts hypothécaires à haut risque accordés à des ménages insolvables, F.D.I.C pour la garantie des dépôts des particuliers. Dans ce schéma, l’aléa moral disparaît. Il n’y a plus de fusible pour arrêter la spéculation.

Pour le plus grand plaisir de certains, les banques abaissent les collatéraux exigés pour l’acquisition d’une maison et offrent à une clientèle ciblée selon des critères de discrimination positive, pour faire plaisir à l’idéologie du moment du « politiquement correct », des prêts à un taux inférieur à celui du marché. Bien entendu, les ménages concernés se précipitent à la banque pour faire une demande de prêt.

Un an plus tard, la construction de maisons connaît un plateau. Les syndicats de maçons s’inquiètent, mais aussi le patronat, les agences immobilières et les banquiers qui ont misé sur la hausse de l’immobilier à travers des outils financiers sophistiqués mis au point par des mathématiciens. Personne, au conseil d’administration de la banque, ne comprend leur fonctionnement et personne ne sait évaluer les risques qu’ils représentent. Ce n’est pas grave puisque la banque a enregistré un profit record au dernier trimestre avec l’effet de levier.

Il faut donc encourager la construction immobilière. Le gouverneur de la Fed s’exécute. Il abaisse les taux d’intérêt pour que d’autres catégories de ménages entrent sur le marché immobilier. A un taux de 3 %, des ménages riches se font construire une résidence secondaire au bord de la mer. A 2%, les classes moyennes veulent les imiter. Elles n’ont pas les moyens de s’acheter une résidence secondaire, mais elles peuvent se permettre, avec l’argent que déverse tous les jours les hélicoptères de la Fed, de se faire construire une piscine dans leur jardin.

Deux ans plus tard, la construction connaît à nouveau à un plateau. Des politiciens au Congrès s’inquiètent de perdre leur siège si la conjoncture s’aggrave. Il faut donner un coup de pouce. Le crédit est abaissé à 1 %. Les ménages se ruent vers les banques. On assiste, un peu partout dans le pays, à des scènes pitoyables. Une guichetière, à l’ouverture de la banque Wachovia à Chicago, est morte piétinée par des clients. C’est la panique devant Bank of America à Los Angeles. Une équipe de télévision, présente sur les lieux, filme des clients qui s’étripent entre eux pour être le premier servi au guichet. Des femmes hurlent. Finalement, la police arrive. Des coups de feu sont tirés. Les policiers battent en retraite. Le gouverneur de Californie décide de faire appel à la garde nationale pour rétablir l’ordre.

Le lendemain, dès l’ouverture de la séance à Wall Street, l’action Bank of America gagne 7 %. Quand il y a du sang, les requins deviennent fous. Bank of America tire tout le marché à la hausse. Ce sera une très bonne année en Bourse. L’indice Dow Jones dépasse, pour la première fois, la barre des 14.000 points.

Trois ans plus tard, les ménages américains ont, en moyenne, cinq cartes de crédit. Une pour chaque jour de la semaine. Le lundi, avec la carte de Washington Mutual, on fait un plein de canettes de bières chez Wall Mart pour regarder la télévision pendant la semaine. Le mardi, on fait le plein d’essence du Hummvee (140 litres) avec la carte Mastercard, le mercredi on se repose avec les enfants à la maison, le jeudi soir on dîne en ville avec madame et on paie avec la carte American Express qui permet un étalement dans le temps des remboursements, le vendredi, après le bureau, on va siroter quelques bières dans un pub, flirter avec des collègues de bureau et on paie avec Visa. Enfin, samedi, c’est le jour de shopping en famille et on utilise la carte de madame pour payer.

Pour une raison inexpliquée, les ménages n’augmentent plus leurs dépenses. Le président décide d’accorder des ristournes d’impôt et le gouverneur de la Fed abaisse le taux directeur à 0 %. Des immigrés clandestins se ruent pour acheter des fusils à pompe chez les armuriers. Les ventes d’armes à feu prennent temporairement le relais d’autres formes de consommation. Puis, sans raison apparente, l’économie s’effondre comme un château de cartes.

Bank of America, qui a connu, deux années auparavant, une émeute, est à présent vide. Il n’y a plus de clients aux guichets. Les vigiles sont les premiers licenciés, puis les guichetiers, ensuite les gens du back office. Il se murmure que la banque a été empoisonnée. Elle n’a pas digéré l’absorption de Merril Lynch. Des docteurs appelés à son chevet disent qu’elle va bientôt mourir. Le titre qui cotait 50 $ en 2007, ne vaut plus que 3,79 $ à la séance du vendredi 20 février 2009. Il n’y a pas de ruée pour retirer son argent comme cela s’est produit, mainte fois, pendant la Grande Dépression. Les clients n’ont pas d’argent ; ils n’ont que des dettes.

L’Amérique a une overdose de crédit. Lors des élections, on assiste à un raz-de-marée démocrate, une chose que l’on n’a pas vue depuis soixante-seize ans avec l’élection de Franklin Delano Roosevelt. L’utopie keynésienne bat son plein. Le Trésor a dû recruter du personnel de nuit pour faire tourner la planche à billet. Même les équipages d’hélicoptères de la Fed sont exténués. On a dû réorganiser les tournées pour faire face au défi. Pensez à ces huit cent milliards de dollars dont ils doivent arroser tout le pays !
Des étrangers s’inquiètent de la dégradation du budget américain : un déficit de 10 % pour l’année en cours. Ils sont sermonnés par le grand argentier qui leur dit qu’il n’y a rien d’autre à faire pour relancer la locomotive américaine. Sans elle, le train s’arrête. « Soyez content que l’on vous achète encore des produits. Nous ne sommes pas protectionnistes. Regardez, nous continuons à boire de la Budweiser qui a été rachetée par ces fumiers d’Hollandais. Alors circulez, il n’y a rien à voir ici. »

Le nouveau président n’arrivera pas à réamorcer la pompe keynésienne. Les banques continuent à faire faillite, les ménages réduisent drastiquement leurs dépenses, le chômage explose et les rentrées fiscales sont en chute libre. Des Etats sont en faillite. Comment payer demain les vingt mille fonctionnaires ? se demande le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger.

De Charybde en Scylla

Dans les deux scenarii évoqués ci-dessus, l’issue est toujours la même : c’est la faillite du modèle keynésien basé sur l’emprunt. Mais les conséquences ne sont pas les mêmes. L’idée d’encourager les ménages à s’endetter à travers des cartes de crédit et des emprunts hypothécaires est autrement plus dangereuse que celle de les pousser à acheter des Lagunas. Dans le deuxième scénario, tout le monde est perdant : les créditeurs et les emprunteurs. Dans le premier cas, les ménages se retrouvent avec des voitures dans leur jardin mais ils ont conservé leur maison. C’est un inconvénient moindre que de n’avoir plus de toit lorsque le banquier donne son feu vert au shérif pour ordonner l’évacuation de la maison que vous n’êtes plus capable de lui rembourser.

Le crédit doit être organisé dans un marché libre (non pas administré par l’Etat) et dans ce cas il sera presque toujours offert intelligemment, en priorité aux producteurs et non pas aux consommateurs. Cela évite que de mauvais investissements soient réalisés. Les technocrates prennent de grands risques avec l’argent des contribuables, ce que ne font pas les investisseurs privés avec leur propre argent. C’est inhérent à la nature humaine.
Les Keynésiens se sont fait les apôtres du crédit facile. Le marxisme fut la plus grande escroquerie intellectuelle du dix-neuvième siècle, le keynésianisme du vingtième siècle. Ne serait-il pas temps de revenir à plus de sagesse avant l’effondrement programmé de plusieurs Etats à travers le monde ? La réponse de Keynes à ses détracteurs était toujours la même : «Dans cent ans nous serons tous morts. » Cette déconsidération de l’avenir est grave pour les générations qui vont hériter d’une dette colossale. Il faut revenir aux fondamentaux de l’économie classique anglaise et de l’école autrichienne. Mais pour cela, il faudrait d’autres élites que celles que nous avons en France. C’est bien là tout le problème…

Bernard Martoïa

 

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