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10/11/11 David Wessel
   L’Europe coule parce que chacun tente de refiler
                          les pertes aux autres !

Cela fait deux ans que la première fumée a été repérée en Grèce, mais l'incendie n'a toujours pas été éteint. Maintenant il s'est étendu à l'Italie. Cela fait cinq ans que la bulle immobilière américaine a éclaté. Le logement reste parmi les grandes raisons qui font que l'économie américaine se porte si mal. Sur les deux continents, il n'y a plus aucun doute sur la gravité de la menace ou sur le besoin urgent de recourir à de meilleures politiques.

Pourtant, les intéressés sont incapables d'agir.

Pourquoi a-t-on attendu si longtemps ? Parce qu’il s’agit de décider qui va payer l’addition.

« Dans toute crise, il faut répartir les pertes entre débiteurs, créanciers et contribuables», explique Anna Gelpern, un professeur de droit américain et ancien fonctionnaire du Trésor. «C'est un concept étonnamment simple, et totalement insoluble. » «Par définition, c'est un problème politique, ajoute-elle. Même si vous êtes arrivé à une allocation optimale, si elle n'est pas politiquement vendable, elle ne peut pas être appliquée. »

Cette fois, l'addition est de taille. Le Fonds monétaire international estime que les détenteurs de la dette hypothécaire américaine ont perdu 2,7 trillions de dollars dont une bonne partie a été transférée aux contribuables américains. Le patrimoine des ménages américains a fondu de 7 trillions de dollars en cinq ans, une baisse de 25%. 23% des Américains qui ont contracté un prêt hypothécaire doivent plus d’argent que la valeur de leur maison.

Toutes sortes de tentatives ont été faites pour réduire les paiements hypothécaires mensuels pour certains, pour refinancer les prêts hypothécaires à taux élevé pour d’autres, pour être sûr que les saisies sont effectuées correctement, pour recapitaliser les banques afin qu'elles puissent absorber les pertes, et ainsi de suite. Mais le grand saut n’a pas encore été tenté : la réduction du principal sur les prêts hypothécaires. Le grand obstacle à ce saut dans l’inconnu, c’est de savoir qui va payer l’addition. Les banques, les investisseurs hypothécaires ou les contribuables ?

En Europe, c’est le retard pris pour admettre que la Grèce a trop emprunté sur les marchés. Ce problème difficile mais gérable au départ est devenu une calamité au fil du temps. Une grande raison à ce retard est de décider qui va payer l’addition. Les contribuables allemands, les actionnaires des banques françaises ou les investisseurs d’obligations grecques ? (1)

Quand un emprunteur fait défaut - qu’il s’agisse d'une banque, d’une entreprise ou d’un pays - la réaction initiale est de se dire que cela reste un bon placement sur le long terme et qu’il s’agit vraisemblablement d’un problème de liquidité à court terme. C'est souvent vrai. Ainsi le prêteur donne un délai de grâce à l’emprunteur, la banque gèle le compte de son client et le «prêteur en dernier ressort », la banque centrale, accorde un prêt d'urgence à la banque car elle est certaine qu’elle sera remboursée un jour. Le problème, dit-on, est la «liquidité» (ce qui signifie que personne ne perd de l'argent à la fin) plutôt que la «solvabilité» de l’emprunteur (ce qui signifie que quelqu'un va perdre de l'argent). (2)

La tentation d'étendre cette logique au delà du raisonnable est forte. Admettre que certains gouvernements européens ne rembourseront pas à 100 % leur dette, ou que certains prêts hypothécaires ne valent pas autant que les bilans des banques le disent, forcerait les prêteurs à enregistrer leurs pertes. Si les pertes sont grandes, alors la solvabilité des banques est mise en doute. En France, les marchés ne sont pas tellement sceptiques sur la capacité du gouvernement à honorer les intérêts de sa dette mais ils le sont à l’égard d’un renflouement des banques françaises qui détiennent tellement de dettes publiques étrangères. (3)

Les banques et les investisseurs prêtent souvent à des taux d'intérêt qui reflètent le risque qu'ils ne seront pas payés en retour. Si tout va bien, ils font beaucoup d'argent. Si non, les pertes sont pour les contribuables.

« Les parties qui ont enregistré des pertes tentent de les transférer à des contreparties, en particulier aux contribuables», dit Edward Kane, un économiste du Boston College. « Ces crises ont tendance à perdurer tant qu'il y a une chance de refiler les pertes aux contribuables. »

Dans un premier temps, c’est le déni, puis le retard, et enfin la manipulation. Fannie Mae, l’assureur américain de prêts hypothécaires qui a été nationalisé, a déclaré cette semaine qu'il fallait que le gouvernement américain lui prête une autre tranche de 7,8 milliards de dollars pour couvrir les pertes sur les prêts qu'elle garantit. Elle va obtenir cet argent sans l'aval du Congrès. C'est moins explosif que de demander au Congrès de réduire la dette des ménages surendettés. En Europe, tout le monde à l’exception du contribuable allemand est convaincu que c’est lui qui va payer l’addition pour sauver l'euro.

Il ya forcément des coûts à toutes ces tergiversations. Le crédit bancaire en est un. « Les banques ne sont pas désireuses d'accorder un crédit, car elles ne savent pas de combien de capital elles disposent [après la prise des pertes non encore reconnues], et il est difficile pour elles de lever de l'argent sur les marchés, parce que les investisseurs sont incertains de leur situation financière», a déclaré John Makin de l'American Enterprise Institute et qui travaille aussi pour le hedge fund Caxton Associates.

L'Italie est un autre problème. Sur les fondamentaux, l'Italie est un bon placement tant qu'elle peut emprunter à des taux raisonnables. Contrairement à la Grèce, elle dégage un excédent budgétaire, hors paiements d'intérêts. (4) Mais elle ne peut pas survivre longtemps si elle doit continuer à payer 7% ou plus d’intérêts. Nul ne doute que l'Italie a péché, mais les retards de l'Europe dans la gestion de « l'insolvabilité » de la Grèce ont conduit les marchés à la question des dettes souveraines de la moitié de la zone euro.

Les contribuables vont payer. Combien ? Tant que cela ne sera pas déterminé, la crise va perdurer et le coût augmenter. (5)

David Wessel

Notes du traducteur :

(1) Depuis le début de la crise en Grèce, le gouvernement français essaie de refiler les pertes de ses grandes banques au contribuable allemand en demandant un renflouement de la Grèce qui n’a pas un problème de liquidité comme les autres PIGS, mais qui est tout simplement insolvable.
(2) Tous les plans de sauvetage n’ont eu qu’une finalité : faire croire à l’opinion publique que la Grèce remboursera un jour ses dettes.
(3) Les trois grandes banques françaises ont prêté 419 milliards aux PIGS.
(4) Le gouvernement français fait nettement moins bien que celui de l’Italie qui dégage un excédent budgétaire brut avant la charge des intérêts de sa dette. Le triple A de la France est injustifié et elle va le perdre bientôt. Ce n’est pas en augmentant les taxes que l’on va rembourser notre dette mais en baissant de 25% les dépenses de l’État en réduisant celui-ci à ses fonctions régaliennes : armée, police, justice et diplomatie. Qu’on le veuille ou non, tous les autres services publics seront privatisés sous la pression des marchés et du F.M.I.
(5) Tant que les Européens refuseront l’aléa moral avec l’enregistrement des pertes sur la Grèce, le coût de la crise augmentera pour tous les Européens. Il fallait admettre en avril 2010 que ce pays était insolvable et le sortir le plus vite possible de la zone euro. Les dirigeants européens ne l’ont pas voulu et la crise de confiance s’est étendue en 2011 au cœur de l’Europe, avec l’Italie dans le collimateur des marchés. A vouloir repêcher à tout prix la belle Hélène, les dirigeants européens ont condamné la zone euro au naufrage. Contrairement à la perception générale, ce n’est pas un effet domino (contagion) qui est à craindre, mais un effet pop-corn (tout le monde saute sous l’effet de la chaleur) lorsque la dette de certains États européens est trop élevée pour être honorée. Le professeur de l’université de Stanford, Edward Lazear, a donné un bon diagnostic de la crise américaine qui est applicable à l’Europe (voir son article sur ce site).

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