www.claudereichman.com |
A la une |
21/11/11 | Wall Street Journal |
Ce n’est pas en imprimant des billets qu’on sauvera la zone euro ! Mario Draghi doit se demander pourquoi il s’est engagé dans cette galère. Quelques semaines seulement après avoir pris son nouvel emploi de président de la Banque centrale européenne, l'Italien est dépeint avec la chancelière allemande Angela Merkel comme le principal obstacle au sauvetage de la zone euro. Si seulement la B.C.E. imprimait un milliard d’euros pour acheter la dette des pays dépensiers, croyez-vous que tout irait bien ? Accrochez-vous bien M. Draghi, et vous aussi, madame la chancelière. Ne cédez-pas aux Français, aux Britanniques, aux Yankees, aux pseudo-experts et à tous ceux qui vous baratinent pour un plan de sauvetage ! Quelqu'un doit défendre le principe de l'indépendance de la banque centrale et de la stabilité des prix. La B.C.E. est de loin la meilleure institution de l’Europe depuis sa fondation. Il ne faut pas dilapider cet héritage aujourd'hui en prenant en charge les dettes des gouvernements dépensiers qui sont la cause réelle de cette crise. Il est vrai que la B.C.E. est déjà devenue un petit peu enceinte en achetant des obligations souveraines, d'abord grecques, irlandaises et portugaises, et depuis l’été, espagnoles et italiennes. La B.C.E. détient un montant de 187 milliards d’euros d'obligations de ces pays. Jean-Claude Trichet, le prédécesseur de M. Draghi, a fait ces concessions en fronçant les sourcils. C'était censé réduire la flambée des rendements obligataires de ces nations endettées. Mais pour quel résultat ? La Grèce est toujours une épave et les rendements obligataires italiens ont atteint 7% la semaine dernière. La brigade de sauvetage dit maintenant que c'est parce que la B.C.E. n’a tout simplement pas assez acheté d’obligations. Comme la relance keynésienne par la dépense, si cela n’a pas marché, c’est que le rachat d’obligations était trop petit. Tous ces gens ne se demandent pas si c’est un bon raisonnement. (1) Ainsi, la B.C.E. devrait faire comme la Réserve fédérale. Pourquoi ne pas acheter 4 trillions d’euros pour augmenter la puissance de feu et écraser les écarts des obligations et mettre ainsi fin à la crise ? (2) Cela suppose que l'expérience de la Fed ait été un succès, mais il est plus exact de dire que le verdict n’est toujours pas tombé. Le marché du logement américain n'a toujours pas récupéré, bien que la Fed ait racheté un trillion de dollars adossés à des titres hypothécaires, et l'économie américaine est toujours au ralenti après de trois ans de taux d'intérêt proches de zéro. Plutôt que de s'extraire lentement de ses programmes de crise, la Fed s’est sentie obligée de soutenir ou de développer beaucoup d'entre eux, y compris les achats de M.B.S. (mortgage back securities). Que la Fed sorte indemne de sa gestion frénétique de la crise reste à voir ! Au moins la Fed a le pouvoir légal accordé par le Congrès américain d’être prêteur de dernier recours, alors que la BCE n'a pas cette autorité juridique. La B.C.E. a été établie avec le mandat unique de maintenir la stabilité des prix, et non pas d’être un sauveur fiscal. Cela a été fait délibérément pour protéger la banque de toute influence politique et maintenir la crédibilité de l'euro comme une monnaie qui pourrait conserver sa valeur au fil du temps. Jusqu'à présent, les achats d'obligations de la B.C.E. ont été assez limités pour que la banque centrale soit en mesure de les «stériliser». Cela signifie qu'ils sont compensés par le retrait d'argent ailleurs dans le système bancaire et qu’ils ne se sont pas ajoutés à l'offre globale de monnaie. Mais un programme de sauvetage de plusieurs trillions d’euros rendrait impossible cette stérilisation et ne serait plus qu’un exercice d’impression de billets. Et si cela ne fonctionne pas ? La B.C.E. aura dilapidé sa crédibilité monétaire, brisé sa charte pour acheter de la mauvaise dette et les taux d'intérêt s’envoleront pour tout le monde. Elle aura abandonné tout semblant de discipline pour faire plaisir aux gouvernements dépensiers. La stabilité des prix qui était son mandat unique passera à la trappe. Le vrai problème en Europe aujourd'hui, c’est que la zone euro n’a pas d’autorité pour faire respecter la discipline budgétaire. Le pacte de stabilité et de croissance a été une tentative dans ce sens, mais il manquait de nerf et il a été bafoué dès le début. Tous les palliatifs manquent de crédibilité aux yeux des marchés, car ils n'imposent pas de discipline qui montrerait aux créanciers de l'Europe que les dépenses excessives de l’État-providence, qui prend en charge les individus du berceau à la tombe, seront corrigées. Les voix plaidant aujourd'hui pour une plus grande "union fiscale" plaident en réalité pour que les Allemands et la B.C.E. leur signent des chèques en blanc. Mais s'ils étaient honnêtes et cohérents, les Français, les Italiens et les autres devraient être prêts à laisser en retour les Allemands et la banque centrale approuver leurs budgets, leurs systèmes de retraite et leurs autres politiques fiscales. Nous ne recommandons pas une telle entorse à la démocratie car cela conduirait à toutes sortes de querelles intestines, mais au moins ce serait une forme de discipline financière. (3) Si les Allemands et la B.C.E. signent des chèques en blanc, alors la balance du pouvoir au sein de la zone euro passera de façon marquée, et peut-être irréversible, en faveur des dépensiers. Même si cela empêche une panique sur le court terme, cela ne ferait que retarder le jour du jugement dernier en laissant l'Europe dans une situation exsangue. Sans un système fédéral qui pourrait restreindre les dépenses, imposer une discipline budgétaire et des réformes structurelles de l’État-providence, tous les rachats d'obligations par la BCE ne sauveront jamais l'euro, et l'indépendance de la B.C.E. ne sera qu’une énième victime de la crise. Wall Street Journal Notes du traducteur : (1) Le gouvernement français qui avait établi un plan de relance de 100
milliards d’euros en 2009, a dû se contenter de 35 milliards sous la
pression des agences de notation. Après avoir prôné la relance pour relancer
la croissance et le pouvoir d’achat des Français, il prône la rigueur deux
ans plus tard en s’en prenant aux « profiteurs » et aux « spéculateurs ». Le
gouvernement de la « fausse droite » est-il cohérent et crédible aux yeux
des marchés ? La réponse est non.
|