Public ou privé : qui va gagner en Europe ?  
	 
	Au cœur de la crise de l'euro se déroule une guerre de culture au sein des 
	Etats européens. Cette guerre a atteint une phase décisive. Dans quelques 
	mois, le résultat sera clair et les conséquences d'une grande portée.
	La culture du secteur privé estime que la croissance dépend des 
	exportations et des investissements. Elle met l'accent sur une politique de 
	l’offre et une main-d'œuvre flexible. (1) La culture du secteur public 
	s’appuie sur un secteur public et une culture syndicale qui estime que la 
	croissance dépend du pouvoir d’achat des ménages. Elle favorise ainsi la 
	politique keynésienne de la demande en augmentant les dépenses publiques, en 
	encourageant l'emprunt, en protégeant les emplois et en augmentant les 
	salaires. 
	Les deux cultures coexistent dans tous les pays européens. Mais il est 
	frappant de constater que c’est dans les pays où la culture du secteur privé 
	est dominante que la croissance est la plus forte.  
	La France et Italie plombent la croissance européenne 
	 
	L'Irlande connaît une reprise remarquable. Son économie devrait croître de 
	1,7% cette année et de 3% l'an prochain. Les prêts bancaires et les prix 
	immobiliers sont révisés à la hausse. De même, le Royaume-Uni est 
	susceptible d’enregistrer une croissance de 3% cette année et le taux de 
	chômage devrait tomber à 6% de la population active. La performance 
	impressionnante de l'Allemagne reflète les réformes difficiles qui ont été 
	accomplies au cours de la décennie précédente avec la réduction des dépenses 
	publiques et la flexibilité du marché du travail. (2) Les Etats baltes 
	devraient connaître encore un bon taux de croissance de leur PIB en 2014 : 
	3% pour la Lituanie, 3,5% pour la Lettonie et 1,2% seulement pour l’Estonie. 
	 
	En revanche, la croissance est la plus faible dans les pays où la culture du 
	secteur public est dominante. La France a des entreprises de classe 
	mondiale, une base industrielle forte et une productivité élevée. Mais les 
	gouvernements successifs ont été incapables de stopper la perte de 
	compétitivité causée par une taxation excessive, des dépenses publiques 
	galopantes, un marché du travail rigide, et des salaires relativement 
	élevés. 
	 
	L’Italie souffre de problèmes similaires avec le fardeau supplémentaire 
	d'une administration publique dysfonctionnelle, d’un système judiciaire en 
	perdition, d’une corruption et d’une évasion fiscale élevée. Ces deux pays, 
	qui représentent près de la moitié du produit intérieur brut de la zone 
	euro, devraient enregistrer respectivement une croissance de 1% et de 0,6% 
	pour cette année. Leur faible croissance aura un impact négatif sur 
	l'ensemble de la zone euro. 
	 
	Le bout du tunnel 
	 
	Néanmoins, la crise a contraint les gouvernements européens à entreprendre 
	des réformes qui favorisent la politique de l'offre, même pour ceux dont la 
	culture du secteur public est traditionnellement dominante. C'est parce 
	qu'il n’existe pas vraiment d'alternative en faveur d’une politique de la 
	demande. La plupart de ces pays sont trop endettés pour poursuivre une 
	politique budgétaire expansionniste. (3) En outre, ils ne sont pas en mesure 
	de contraindre la Banque centrale européenne (BCE) à mener une politique 
	monétaire expansionniste. 
	 
	Les pays qui ont entrepris des réformes sérieuses commencent à voir le bout 
	du tunnel. En Espagne, au Portugal et en Grèce où le marché du travail est 
	devenu plus flexible, la croissance pourrait atteindre respectivement 1,1%, 
	1,2% et 0,6% en 2014. La flexibilité des salaires a stimulé les exportations 
	par une baisse des coûts de production. Cette reprise apaise les craintes 
	quant à la soutenabilité de la dette et la survie de l'euro. Elle entraîne 
	une baisse spectaculaire des rendements des obligations d'État et elle 
	renforce la confiance des marchés. Un cercle vertueux s’est enclenché. Même 
	la France et l'Italie se sont dotées de nouveaux gouvernements qui se sont 
	engagés à entreprendre des réformes. 
	 
	Signes de fatigue 
	 
	Mais il est encore trop tôt pour déclarer la victoire des théoriciens de 
	l'offre. Il y a des signes de fatigue dans de nombreux pays et les 
	événements récents montrent que la culture du secteur public se défend avec 
	acharnement. 
	 
	Prenez l’exemple du Portugal où la Cour constitutionnelle s’est rangée du 
	côté de l'opposition pour contrecarrer les efforts du gouvernement de 
	réduire le coût de l'administration publique. Elle a suggéré que les impôts 
	devraient être augmentés plutôt que de baisser les dépenses publiques. La 
	Commission européenne craint une impasse alors que le Portugal s’apprête à 
	sortir de son programme de sauvetage. 
	 
	Ou prenez l’exemple de la Grèce où le gouvernement a congédié le directeur 
	de l'administration fiscale. Athènes insiste en disant que sa décision est 
	motivée par l’incompétence de l’intéressé. Mais la Commission européenne 
	soupçonne une ingérence politique car l’ancien directeur a été trop zélé 
	dans une enquête sur les retraites. Il a eu aussi le malheur de bloquer des 
	allégements fiscaux en faveur de la police pendant la campagne électorale. 
	C'est inquiétant parce que la crédibilité des institutions grecques est 
	vitale pour attirer les investissements étrangers. 
	 
	Même l'engagement de l'Espagne est remis en question. Elle a failli dans la 
	refonte de son administration qui est un fardeau pour les finances 
	publiques. Avec la perspective des élections en 2015, les chefs d'entreprise 
	espagnols craignent que la fenêtre des réformes soit en train de se 
	refermer. 
	 
	Les programmes de réforme français et italiens sont plus rhétoriques que 
	réels 
	 
	Le Fonds monétaire international a critiqué la France pour son manque de 
	précision dans les réductions de dépenses. Hormis un gel des salaires dans 
	la fonction publique, le gouvernement n’ose pas tailler à la hache dans les 
	dépenses publiques. En Italie, la réforme du Premier ministre Matteo Renzi 
	semble avoir disparu dans les sables mouvants. Sa réforme très médiatisée du 
	marché du travail a été édulcorée. Il reste à voir si le succès de son parti 
	aux élections européennes va revitaliser les efforts de M. Renzi. 
	Cela est important parce que si l'élan de la réforme s’essouffle et que la 
	reprise économique faiblit, la pression pour une politique de la demande va 
	croître à nouveau. Pourtant, la zone euro est mal équipée pour fournir une 
	telle réponse sans un changement profond dans ses règles d'engagement. Ces 
	tensions sont au cœur de deux grands débats. 
	 
	La bataille à propos de la présidence de la Commission européenne, l’organe 
	exécutif de l'UE, oppose ceux qui pensent que l'UE devrait être une 
	association d'États-nations autonomes contre ceux qui pensent que l'UE 
	devrait évoluer vers un système fédéral avec une politique budgétaire très 
	expansionniste. La France et l'Italie ont déclaré qu'elles vont mener une 
	campagne pour assouplir les règles budgétaires de l'UE.  
	De même, le débat fait rage autour de la politique monétaire restrictive 
	imposée par la BCE, avec d’un côté ceux qui croient qu’elle devrait 
	s'engager à faire tourner la planche à billets, et de l’autre ceux qui 
	croient que la BCE ne devrait pas assumer les dettes des Etats membres. (4) 
	 
	La semaine dernière, la BCE a annoncé un ensemble de mesures qui sonnent 
	fort. Mais en réalité, elles sont conçues pour gagner du temps, dans 
	l'espoir que les réformes du marché du travail et de la réduction des 
	dépenses publiques finiront par générer une croissance suffisante pour la 
	soulager de la charge de prendre parti. 
	 
	La façon dont ces situations vont se dénouer déterminera quelle culture 
	sortira victorieuse en Europe.  
	Simon Nixon 
	 
	Notes du traducteur 
	 
	(1) Après le désastre du parti socialiste aux élections municipales, le 
	président de la République tente un virage à 180% de sa politique 
	économique, sans expliquer aux électeurs socialistes bernés la nécessité 
	d’un tel changement après deux années de matraquage fiscal qui ont saigné à 
	blanc notre économie.  
	(2) Le président a reçu, en catimini, à l’Elysée Peter Hartz. L’ancien 
	directeur des ressources humaines de la société Volkswagen fut le conseiller 
	économique de l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. C’est à 
	lui que l’Allemagne doit son renouveau économique. Pourquoi ne l’a-t-il pas 
	pris comme conseiller à la place de la falote Laurence Boone ?  
	(3) Après le krach boursier du 15 septembre 2008 à Wall Street, l’ancien 
	président Nicolas Sarkozy, sur le conseil des énarques omnipotents, lança 
	l’idée folle d’une relance keynésienne à l’échelle européenne. Menée 
	pratiquement seule, celle-ci ne fit qu’aggraver notre dette alors que la 
	prudente Allemagne de la chancelière Angela Merkel réduisait, de son côté, 
	ses dépenses et ses investissements publics. Pratiquement tous nos 
	économistes, du moins ceux qui peuvent s’exprimer sur les plateaux de 
	télévision, prédisaient que l’Allemagne égoïste allait aggraver la crise de 
	la zone euro. C’est tout le contraire qui s’est produit ! 
	 
	(4) Le même Nicolas Sarkozy a passé son quinquennat à réclamer une politique 
	monétaire laxiste de la BCE et la création d’euro-bons qui aurait 
	certainement ruiné la zone euro. Sommes-nous condamnés à être gouvernés par 
	des nuls ? 
	
	 
	  |